À quoi bon la poésie aujourd'hui ?
Cette question n’est pas nouvelle. Hölderlin la posait déjà. Il existe une difficulté avec le mot ” poésie “. Aujourd’hui, il y a une ” misère de la poésie ” car elle est différente de la marchandise ou du spectacle. Les lecteurs de la poésie sont comme une petite minorité ” d’extrémistes “. Même le poids symbolique de la poésie se réduit. Il suffit de voir la place qui lui est consacrée dans les pages littéraires dans les journaux pour s’en convaincre. On est passé de la révérence à l’indifférence et à la condescendance. Toute mesure est difficile, mais il y a un malaise de la poésie vis-à-vis d’elle-même. On la taxe de mièvrerie, de vieillerie, de sentimentalisme, de grandiloquence ou d’obscurité. Donc, on ne se dit plus poète.
De toute façon, on écrit plus de poésie qu’on en lit. Il y a un développement démocratique des pratiques culturelles à cause du temps libre, du droit à être un artiste. L’Art est devenu un hobby, sans intention d’être publié. C’est positif pour les citoyens, c’est négatif pour la critique et pour les auteurs qui ont une exigence aristocratique. La honte qu’éprouve la poésie ne touche pas les autres arts. Ceci est dû à la mise en avant du Moi qui est égal pour beaucoup à effusion, sensiblerie. Elle est aussi dans la semi-clandestinité à cause de la logique marchande. Elle n’a donc pas une image positive. Mais il y a une ” grande poésie ” invisible. La poésie tombe de haut car c’était un Art majeur, d’où le malaise.
C’est la fin des grandes illusions. La poésie était bonne absolument (c’était une illusion) pour faire connaître l’Absolu (le romantisme, Breton), pour ” changer la vie ” (Rimbaud). Elle était le ” sur-cerveau de l’action ” (Char). Puis il y a eu une période de désenchantement, d’hésitation entre célébration (Breton) et haine de la poésie (Georges Bataille). Enfin, une remise en cause radicale : la poésie est inadmissible (Tel Quel). C’est l’antithèse du romantisme : la poésie n’est bonne à rien, au mieux c’est un jeu.
La poésie est-elle devenue un objet archéologique, un objet universitaire ? La poésie est toujours bien vivante et il existe des œuvres importantes dans la clandestinité. Pourquoi la poésie est-elle encore là ? Parce que nous sommes en attente de quelque chose, d’une autre poésie.
Que peut apporter la poésie aujourd'hui ?
à propos d’une conférence de Jean-Claude PINSON
Professeur de philosophie à l’Université de Nantes
(Merci à Sébastien Annereau de m’avoir confié ses notes)