Bétonnière
Ronflement hypnotique de la cuve vide
elle grince en ses rouages
dans un tournoiement stérile
– une comptine répétée à l’infini
Remplir la panse métallique d’une eau turbide
Sable gravier ciment s’y amalgament
– chuintement rythmé où se chuchote un enchevêtrement inéluctable
Ventre fécond d’une dalle bétonnière
– une terrasse
On y installera une table et des chaises de jardin
en plastique
Et peut-être aussi
un laurier-rose en pot

Chantier
Elsa Dauphin
Polder 203
Édition Décharge et Gros Textes, 2024
ISBN : 978-2-35082-582-3
Prix : 7 €
D’emblée, Elsa Dauphin surprend. Pour elle, pas de « chantier interdit ». La poésie peut s’emparer de tous les sujets même les plus triviaux : ici la rénovation d’une ancienne bergerie en un lieu d’habitation. En plus, elle ose aborder un sujet que l’on attribue plus traditionnellement aux hommes, décidément la poésie n’a pas de genre.
Elsa Dauphin raconte par le détail toutes les étapes du chantier. Il est question de fondations, de maçonnerie, de truelles, de bétonnière et d’ échafaudage. Son écriture originale s’approprie les mots du vocabulaire précis, concret et technique de la construction : « j’apprends la langue de chat/ l’élégance de sa précision/ j’apprends la gamate qui n’est pas dans mon dictionnaire ».
Il est aussi question de « sommeils foudroyés », de « crampes nocturnes [qui] déchirent/ cuisses et mollets », de courbatures et de tensions musculaires, d’ « une oreille meurtrie au fer à béton/ saillant d’un mur ». Un chantier est une épreuve qui peut s’avérer exténuante et douloureuse pour le bâtisseur. La belle écriture vivante d’Elsa Dauphin explore le désir de restaurer le passé pour bâtir l’avenir avec des mots nouveaux qui « font mortier/ entre le ciel et la terre/ entre les pierres et les rêves ».
Michel Foucault