La toile de l'un

du travail et des travailleurs

du travail et des travailleurs

Travail

On t’appelle travail. Tous les matins, tu nous attends. Nous venons, et nous te servons. Tu demandes toujours un peu plus qu’on ne peut donner. Ta face large et plate ne bouge pas quand on le dit. Tu es sourd.

Au sommet de l’année, la fatigue nous prend. Tu n’aimes pas les gens fatigués. Tu les laisse partir quinze jours, trente. En sortant, ils ne cassent pas le manche de leur outil, ils le rangent, ils lui disent : « À bientôt ». Ils savent que tu es là, sphinx dans leur dos.
Revenir, plus fort que toi.

Georges-Louis GodeauCarton – © le pavé, 1984

 

Signe pour le départ au travail

Dans la nuit
salut à ton sommeil
ma dormeuse ma fatiguée
ma femme

Salut à votre éveil
mes filles mon fils
Votre repos m’aide à me lever
vos rêves m’aident à me dresser

Et je vais travailler
pour être un homme
Pour vivre

Dans la nuit
mes lèvres et mes doigts
vous effleurent
votre souffle me caresse

Gabriel Cousin in Nouveau trésor de la poésie pour enfants, Anthologie par Georges Jean – le cherche midi, 2003

 

Les odeurs des métiers

Je connais l’odeur des métiers :
les maçons sentent le mortier,
le boulanger sent la farine,
le peintre la térébenthine,
les paysans sentent la terre
et l’épicier sent le gruyère,
la blouse blanche du docteur
des médicaments a l’odeur.
Ceux qui ne font rien, c’est curieux,
ne sentent rien et puent un peu.

Gianni RodariLa tête du clou – Lo Païs, 1996

 

Au travail !

Seize ans. Tu quittes le collège.
C’est ton tour. Entre dans le piège.
L’automne, puis l’hiver. La neige.

Un jour. Un autre. Un mois. Le froid.
La vie s’est refermée sur toi.
On te surveille. Marche droit.

On t’indique la route à suivre.
Oublie les cahiers et les livres.
Un pas. Un autre. Il faut bien vivre.

Sa vie, chaque jour, on la perd.
Sans rien dire, tu marches vers
Le soleil rouge de l’hiver.

Et si le patronat s’inquiète
De ce qui tourne dans ta tête,
Ses chercheurs feront une enquête.

Jacques CharpentreauLe Romancero populaire – Les Éditions Ouvrières, 1974

  Vous me croyez soumis au rythme des machines,
Obéissant à leurs signaux, dans le meilleur
Des mondes bétonnés, sans honte, sans frayeur,
Mécanisé, repu et souple de l’échine.
Mais mon cœur est ailleurs.

Je suis sur la crête des vagues, dans l’écume
Qui déferle et blanchit et se jette en avant
Sur le rivage. Mes pas au soleil levant
Se posent dans les pas de l’homme que nous fûmes.
Je chante dans le vent.

Jacques CharpentreauLe Romancero populaire – Les Éditions Ouvrières, 1974

  En blousons et casquettes
À cyclo ou vélo
Ils quittent le boulot
Et ce n’est pas la fête

Ils sortent à six heures
Comme ils feraient d’un stade
Après un match très fade
Sans vaincus ni vainqueurs

Ils laissent au vestiaire
Leurs maillots de cambouis
Et de sueur et font oui
Quand on dit de se taire

En blousons et casquettes
À cyclo ou vélo
Ils quittent le boulot
Et ce n’est pas la fête

Ils pensent que demain
Sera comme aujourd’hui
Les mains dans le cambouis
Ils pensent que demain…

À cheval sur leurs rêves
Dans ce sal’temps de crève…

Joël SadelerVingt-neuf fois sur le métier – Corps Puce / J.P.L. COM’, 1992

 
Deux lunes noires rabattues lui font des yeux de crustacés. Il tient parfois des pinces.
Alentour, pas l’ombre de la mer, le bleu, c’est juste un trait d’étincelles qui fuse entre les mains.
Ainsi fond, fond, fond le métal à la flamme : elle est bleue sa couleur, mais les yeux, va savoir, mais les yeux pour l’instant sont tout noirs.

Bruno Berchoud Leurs mains – © Cheyne éditeur, collection « Poèmes pour grandir », 2005

 

Soudure électrique

Des couteaux bleus, verts, jaunes déchirent les verrières, blessent le regard et la nuit.
Casqué, gris, immobile, le soudeur écrit des lueurs avec d’énormes gants et des gestes précis.
Je sais qu’il est derrière, enfermé dans son travail.
Les éclairs silencieux noircissent la rue vide où persiste l’homme.

Gabriel Cousin in Nouveau trésor de la poésie pour enfants, Anthologie par Georges Jean – le cherche midi, 2003

 

Mécanicien

J’aimerais voir, dans le reflet de tes mains, tourner sans faille ni à-coups mon moteur poétique.
Tes bielles indiqueraient le mouvement verbal de mes vers s’articulant les uns aux autres en un accouplement prodigieux.
Tes pistons assureraient le frottement de mes images dans le corps du poème et le déplacement doux et limpide de la pensée vers la réalité explosive.
Tes soupapes ouvriraient le passage de ces lieux imaginaires à mon lecteur, inquiet de ce silence perturbateur, et dont le fluide refluerait dans son être.
Ni vibration, ni secousse. Tout serait un immense enfantement : fruit de nos doigts et de nos pensées, du moteur et de la poésie, et nous formerions ce couple d’amants déroutant !

Jean-Michel BongiraudLes mots du manœuvre – l’épi de seigle, 1998

 
 

 Le mécano
 Est rigolo
 La saison
 Qu’il préfère
 C’est l’hiver
Quand le froid pince
Quand le froid serre
On le voit dans son garage
Les mains dans les poches
Devant les capots ouverts
Il laisse le temps faire…

Joël SadelerVingt-neuf fois sur le métier – Corps Puce / J.P.L. COM’, 1992

  Quelle prise maintenir sur la vie ?
Notre humeur multiple, comme une pince,
serre ou desserre les crans au gré
des sentiments. Si la poigne devient trop lâche,
le corps risque d’être déboulonné de l’existence.
Nul doute qu’il vaut mieux avoir l’esprit ferme
et assuré. L’écrou n’est pas interchangeable
et toute la tension s’exerce sur une seule vie.

Jean-Michel BongiraudMots d’atelier – le dé bleu, 1997

 

Être de bois

Celui qui décréta
Qu’être de bois
C’est être froid

N’a jamais caressé
– C’est certain –
Un bol tourné
À la main

À Claude Laroche

Béatrice LibertLa sourde oreille et autres menus trésors
© éditions Henry, 2020

 

Monter la grue

Monter la grue sur un nouveau chantier est un plaisir. Je porte les barres comme un lanceur de javelot, je les lève et les tiens comme un équilibriste et j’ai encore le temps de caler mon béret à cause du soleil.

Il gèle dur mais je préfère cent fois ma place à celle des gens de bureau qui nous regardent travailler derrière leurs vitres. Ils sont enfumés. Je parie qu’ils ont les pieds froids. Moi je respire à pleins poumons et marche sur la braise.

Georges Louis GodeauLa vie est passée – le dé bleu, 2002

 

La chaîne

La chaîne cliquette en dépliant ses vertèbres.
Cloc ! L’homme assis serre un écrou.
Cloc ! Cloc ! Et l’écrou fait glouglou,
telles des gouttes d’eau tombant dans les ténèbres.
Cloc ! Cloc ! Glouglou. Cloc ! Cloc ! La chaîne se déploie
cueillant au vol le geste à faire
pour que l’écrou héréditaire
saute sur le boulon qu’on lui promet en proie.

Pierre BéarnCouleurs d’usine – © Seghers, 1951

 

Un marteau

Fait pour ma main,
Je te tiens bien
Je me sens fort
De notre force.

Tu dors longtemps,
Tu sais le noir,
Tu as sa force.

Je te touche et te pèse,
Je te balance,
Je te chauffe au creux de ma main.

Je remonte avec toi
dans le fer et dans le bois.

Tu me ramènes,
Tu veux
T’essayer,
Tu veux frapper

Guillevic – (Sphère) in Le livre d’or des poètes, Anthologie par Georges Jean – Seghers, 1973

 
Sur son pèse-lettre
la postière
pèse les mots
d’aujourd’hui et d’hier

Elle sait
que les mots d’août sont légers
que les discours de l’été
ne font pas le poids

Elle connaît
les vacances sans pluies
les soleils mal affranchis
les courriers qui ne font pas de plis

Elle reconnaît aussi
les lettres des poètes
leurs mots s’envolent aussitôt
qu’ils sont posés sur son plateau

Mais elle s’en balance
la postière
les feuillets des poètes
n’ont pas de prix

Joël Sadeler Vingt-neuf fois sur le métier – Corps Puce / J.P.L. COM’, 1992

 

Fraiseur

Le monde est fait d’ordre. Et chacun appartient à un ordre. Celui qui contemple, pour juste et grand que soit son esprit, ne peut combattre la misère. Celui qui se bat, pour fort et puissant que soit son corps, ne peut vaincre la haine.
J’aimerais pourtant qu’avec ton outil tu agrandisses subtilement les orifices de notre cervelle, que tu y insères d’autres caractères. Mais nous sommes d’une matière si dense et si fragile, si légère et si profonde, si superficielle et si opaque, que ton fraisage serait inutile.
Le travail sur l’homme est coûteux et long. La rentabilité en est très aléatoire. C’est pour cette raison que tu es investi de pouvoirs sur la tôle.

Jean-Michel Bongiraud Les mots du manœuvre – l’épi de seigle, 1998

 

Le temps perdu

Devant la porte de l’usine
le travailleur soudain s’arrête
le beau temps l’a tiré par la veste
et comme il se retourne
et regarde le soleil
tout rouge tout rond
souriant dans son ciel de plomb
il cligne de l’œil
familièrement
Dis donc camarade Soleil
tu ne trouves pas
que c’est plutôt con
de donner une journée pareille
à un patron ?

Jacques Prévert, Paroles, Gallimard, 1949

 
Inutile de s’exclamer. Il faut crier.
Avant que la pointe de nos désirs
ne soit meulée, que l’angle de nos passions
ne soit arrondi, que le restant de courage
ne soit avalé, et sans attendre la fusion
de l’esprit et du cœur !

Jean-Michel BongiraudMots d’atelier – le dé bleu, 1997

  Pour serrer le cœur jusqu’à l’étouffement,
les vieux outils sont encore les plus subtils ;
l’étau, le chalumeau, la haine, la vengeance…
Pour ceux qui les manient, le travail est sans surprise.
Dommage que la mort ne soit pas plus brave.
Les prendrait-elle de face, qu’ils croiraient
encore que c’est un nouveau jeu !

Jean-Michel BongiraudMots d’atelier – le dé bleu, 1997

 

Sélections

Ils ont moins de vingt ans. Ils sont seuls dans un champ de blé. Lui est à genoux. Il broie dans sa main le plus bel épi. Elle se penche sur lui pour voir de plus près. Tête contre tête, ils parlent doucement de terre, d’engrais et de semences.
Ce sont aussi des mots d’amour.

Georges-Louis GodeauVotre vie m’intéresse – © éditions le dé bleu, 1985

 

Le déménageur

Gaétan porte des armoires sur son dos. Quand il s’arrête dans l’escalier pour allumer sa pipe ou pour causer un brin avec monsieur le professeur de philosophie, le meuble reste en équilibre, bien sage, sur l’échine.
Si Gaétan est fort comme un chêne, ce qu’il faut pour déménager, il est aussi patient comme un berger et minutieux comme une couturière.
Et le pire, c’est qu’il n’en sait rien.

Georges-Louis GodeauVotre vie m’intéresse – © éditions le dé bleu, 1985

 

Le tôlier

Mon père était forgeron. Le soir, il lisait des revues de métallurgie. Moi aussi, je lisais. Les usines d’avion. Je rêvais.
J’ai grandi. Au Centre, j’ai fait des études. Je suis sorti premier tôlier. Le premier a le droit de choisir. Mon choix était fait.
À l’usine, j’ai signé mon contrat. Avec le chef, nous côtoyons la chaîne. Je caresse un fuselage. Tout est gigantesque. Je suis très petit.
Voilà ma machine. Elle découpe des ronds à l’emporte-pièce.
Je ne rêve plus. Je vais construire des avions caravelle.

Georges-Louis GodeauVotre vie m’intéresse – © éditions le dé bleu, 1985

 

La même chose

J’écris des poèmes, des poèmes, et mon frère fait des paniers, des paniers.
Dans le monde, il y a des cimetières, des cimetières et dans les cimetières des morts.
Il y a des morts qui faisaient des paniers comme lui et d’autres des poèmes comme moi.
Il y a encore de vieux paniers qui vont à la cueillette des cerises et de vieux poèmes qui vont à l’école.
Un beau poème, un beau panier, c’est la même chose.

Georges-Louis Godeau Votre vie m’intéresse – © éditions le dé bleu, 1985

 

Le boueur

Boueur, je te reconnais quand je te croise l’après-midi, pour t’avoir regardé souvent, le matin, courir derrière ta benne, courir sauter, jeter, recommencer.
Les hommes n’admirent que les athlètes du dimanche.
Boueur, garçon à belle allure, à la peau claire et au chandail propre, écoute le rythme de ton corps et regarde bien en face l’humanité.
Tu es l’un de ses plus beaux fils.

Georges-Louis GodeauVotre vie m’intéresse – © éditions le dé bleu, 1985

 

Le chaudronnier

Ma mère est morte, ma femme est folle et je n’ai pas d’enfant. Alors, je bois du vin rouge et je gueule.
Dans le quartier, les gens ferment les portes à mon approche. Ils ont tort. Je suis un brave homme.
Parfois, dans les jours sombres, je travaille. L’antiquaire me confie des cuivres à refaire. Il dit que je suis le meilleur chaudronnier.
Au bistrot, ça me pose.

Georges-Louis GodeauVotre vie m’intéresse – © éditions le dé bleu, 1985

 

Le quincaillier

On l’a rétamé le quincaillier
on lui a cloué
le bec de cane.
Il était en blouse
et un peu maniaque
avec ses boîtes en bois
où il rangeait, des plus petits aux plus grands,
clous, boulons, vis, rondelles ;
et au fond il y avait vaguement
des seaux et des pelles galvanisés.
Aujourd’hui si l’on veut
boulonner ou serrer la vis
il faut aller sur
marteau poing comme
ou tournevicieux point d’orgue
sans même pouvoir encore
traverser dans les clous.

Constantin KaïtérisLe quincaillier, la remailleuse et autres métiers perdus – Corps Puce, 2017

 

Le chèque

C’est un chantier sans hommes presque. L’hiver les a chassés l’un après l’autre. Les quatre survivants font le travail de tous.
Ils chantaient l’autre jour sur les machines.
Ils ne chantent plus. Ce matin, ils ont gardé la veste et se taisent, recroquevillés. Ils attendent leur solde. Depuis plus d’un mois. Le chef est parti pour téléphoner.
Le voilà, cassé comme un vieux. Il s’accote à la pelle, fait signe que rien. Les ouvriers s’en vont.
Il lève les bras. Arrêtez ! il a l’habitude de faire l’impossible. Pour l’amitié.
Ils arrêtent un moment. Le temps passe. Cette fois, l’impossible est trop fort pour lui.

Georges Louis GodeauLa vie est passée – le dé bleu, 2002

 

Monsieur

Je suis caissière au supermarché, vous videz votre caddy, je décompte. Reste la caisse d’eau minérale que vous renoncez à soulever car elle est lourde, et cachetée. « Pas de problème, dites-vous, douze bouteilles ». Que je marque l’arrêt vous étonne. Que j’ajoute « ouvrez » vous dépasse. Vos vieilles mains tremblent. Vous avez envie de me gifler. Tête basse, vous déchirez, montrez. Douze bouteilles sont là, honnêtes comme vous. Je ne m’excuse pas, je vous accorde simplement un regard dans lequel vous plongez pour voir mes raisons : mon métier, le règlement, il y a tant de voleurs ! Et vous ne savez comment vous confondre, m’offrir tout votre soleil intérieur, me souhaiter bon courage. J’en ai. Merci. Au suivant. Ouvrez.

Georges Louis Godeau Carton – le pavé, 1984

 

J’ai vu le menuisier
Tirer parti du bois.

J’ai vu le menuisier
Comparer plusieurs planches.

J’ai vu le menuisier
Caresser la plus belle.

J’ai vu le menuisier
Approcher le rabot.

J’ai vu le menuisier
Donner la juste forme.

Tu chantais, menuisier,
En assemblant l’armoire.

Je garde ton image
Avec l’odeur du bois.

Moi, j’assemble des mots
Et c’est un peu pareil.

GuillevicTerre à bonheur – © Seghers, 1952

 

Rire aux éclats

L’artboisier
N’a pas sa langue en poche

Il sait que le bois
Comme les mots
Se déguste à petits copeaux

Qu’il danse
Dans nos mémoires

Et qu’il n’a pas son pareil
Pour rire aux éclats
Sous la scie à chantourner

Et pour créadivaguer
En toute ébriété

Pour Daniel Bulinckx

Béatrice LibertLa sourde oreille et autres menus trésors
© éditions Henry, 2020

 

Les hommes ont levé l’ancre.

Leurs muscles portent la mémoire des jours rudes.

Ils s’échangent des mots

qui font une musique enluminée d’orient

Et le soir, quand le cargo fait glisser ses étoiles

sous les étoiles,

ils tissent des légendes

en cherchant des images

dans les échos du vent. 

***

Il y a toujours,

dans les lents cargos de nuit,
des hommes sans sommeil.

Ils écoutent l’océan brasser leurs silences

et leurs souffles.

Leurs yeux cherchent les passerelles

qui lient les mondes et les songes.

Parfois les doigts s’émeuvent d’un prénom de femme

que les lèvres frémissent en filigrane.

© Gérard Cousin
Par tes yeux, j’écris la mer

 
© Pierre Rosin
 
Les vieux ouvriers compensent par
l’astuce la lenteur de leurs gestes.
Ils repassent parfois leur savoir-faire
à des jeunes qu’ils estiment.
Mais côté cœur, personne n’a encore
vraiment acquis le tour de main.
Si aucune école n’est ouverte à cet enseignement,
certains ont les mots pour nous faire croire
qu’ils ont ce diplôme.
Mais bien souvent la pratique leur fait défaut.

Jean-Michel BongiraudMots d’atelier – le dé bleu, 1997

 

Et la fête continue

Debout devant le zinc
Sur le coup de dix heures
Un grand plombier zingueur
Habillé en dimanche et pourtant c’est lundi
Chante pour lui tout seul
Chante que c’est jeudi
Qu’il n’ira pas en classe
Que la guerre est finie
Et le travail aussi
Que la vie est si belle
Et les filles si jolies
Et titubant devant le zinc
Mais guidé par son fil à plomb
Il s’arrête pile devant le patron
Trois paysans passeront et vous paieront
Puis disparaît dans le soleil
Sans régler les consommations
Disparaît dans le soleil tout en continuant sa chanson.

Jacques PrévertParoles – Gallimard, 1949

 

Liberté

À l’usine, quand je suis parti, ils m’ont dit : « Veinard ! Tu es libre ». À corps perdu j’ai foncé dans le terrain vague pour voir la grande dame. Elle n’était nulle part.
Depuis, chez moi, je me lève tard, je lis mon journal à fond et, trois fois par jour, je fais le tour du pré avec un cigare et mon chien.
Hier, une idée m’est venue : « Et si c’était ça, la liberté ? »

Georges-Louis GodeauCarton – © le pavé, 1984

 

Nous sommes les nouveaux prolétaires

Dans cet univers où tout est toujours nouveau
nous sommes ceux qu’il faut appeler les nouveaux prolétaires car si l’ancienne exploitation s’affuble toujours de visages nouveaux
dans nos temps très modernes la vieille misère est
toujours aussi jeune.

Nous travaillons dans des ateliers et des chantiers, derrière des machines
à commandes numériques, des tours, des fraiseuses, des presses, des emboutisseuses
nous sommes des millions, nous travaillons pour des
patrons, sous-traitants maltraités ou multinationales
mais l’ère de l’industrie étant déclarée close, nous
n’existons pas.

Nos usines ont été fermées ; nous avons été libérés de
notre travail
mais, toujours à la recherche d’un emploi, du travail nous ne sommes pas libérés.
Quant à nous qui sortons de l’école, et n’avons jamais eu emploi, ni vrai salaire
de stages gratuits en petits boulots, pour presque rien,
nous travaillons sans cesse.

Nous sommes les prolétaires de l’ère post-industrielle ;
on nous dit que l’ordinateur libère
mais nous passons nos journées enchaînés à nos ordinateurs.
Ce n’est plus seulement notre main, mais notre cerveau et nos nerfs qui deviennent les appendices de la machine.

Ouvriers, employés, chômeurs ou précaires,
nous sommes les nouveaux prolétaires.
Dans cet univers où seule compte la propriété,
de notre emploi,
nous ne sommes pas même les propriétaires.

Nous sommes les nouveaux prolétaires.
Ne possédant rien, nous ne comptons pour rien.
Mais nous sommes les plus nombreux,
sans nous rien ne se fait.
Et ceux qui possèdent tout,
avec nous devront compter.

Francis CombesCause commune – Le Temps des Cerises, 2003

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