La toile de l'un

Enfance et poésie

Enfance et poésie

Pour la revue décol’ N° 38 parue l’été 2004, Alain Serres livrait ces propos qui disent en peu de mots l’essentiel.
(avec l’aimable autorisation de Jacques Fournier et des éditions l’épi de seigle)

 

Chaque matin, piocher les yeux fermés, dans un imbroglio de mots, par exemple dans le chapeau d’un impatient qui n’en fait qu’en sa tête.

Puis piocher à nouveau, les yeux cette fois bien ouverts, dans un second chapeau, par exemple une casserole. Une casserole pleine d’enfance avec des enfants qui abîment leurs chaussures à force de frapper dans le ballon ou même d’enfants qui abîment leurs yeux à force de caresser la trame du tapis oriental qui les nourrit (mal).

Vous avez donc deux mots en main.

Le premier plutôt joueur et bien chaussé : un nuage, un palmier, un demi-sommeil, une lune entière…

Puis, le second, plutôt traversé par le sang chaud et glacé de la réalité : un numéro de bus, un prix, un couac, un tract, un chien moutarde, un mauvais sourire, une morsure de rat.

Et entre ces deux mots qui vous tombent dessus comme le blizzard de la vie, vous tissez une nécessité qui s’appelle la poésie. Entre vous et vous, la poésie, entre le meilleur et le pire de vous, la poésie, entre votre nuit et votre jour, la poésie.

Qui n’a pas conscience de cet espace vivant entre rêve et réalité ne peut pas comprendre le besoin de bateau pour passer de l’un à l’autre.

Et si cet espace-là, cet appel, ce voyage, cette faille, ce sas, c’était avant tout notre enfance ?

Et si c’était elle qui avait le plus besoin de la barque nommée poème ?

 

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