Habiter : maisons

Habiter : maisons


 

 

 

Une maison

Pour Yahia et Amina

Dans cette maison
un rêve enveloppé d’une peau d’orange
s’est installé sur un tapis ancien
une page de Chine ou de Perse

Dans cette maison
la lumière d’une nuit blanche
a joué de la musique
des statuettes d’un temple aveugle
se sont mises à danser

Dans cette maison
un poisson d’argent
a mangé la poussière
puis s’est rangé sur une étagère
entre deux manuscrits,
à côté d’un miroir vénitien
Les murs se regardent dans le lent passage des jours
le rêve descend les marches du temps
une voix d’Orient habite le silence
et sort un soir de fête
caresser la mémoire des vestiges émus.

Tahar Ben Jelloun
Les pierres du temps – © Seuil, 1995

 

Ce printemps dans ma cabane ―
absolument rien
absolument tout !

Yamaguchi Sodô
in
Anthologie du poème court japonais
© Gallimard, 2002

 

Autour de ma cabane
les grenouilles rabâchent ―
tu vieillis tu vieillis

Kobayashi Issa
​in
Anthologie du poème court japonais
© Gallimard, 2002

  La maison vaste et silencieuse et grise
les fenêtres fermées
  qui regardent la nuit

la nuit la nuit et l’ombre et le silence
au loin les longs abois des chiens

et l’air frais qui pénètre le cœur

la pente herbue descend silencieuse et grise
et d’une grange ouverte la lumière
le nid dans l’arbre droit au côté de la cour
  les fenêtres fermées
   qui regardent la nuit

la nuit la nuit et l’ombre et le silence
et le tac tac bleu nuit d’une horloge cachée

et l’air frais qui pénètre le cœur.

Raymond Jacq
Lorsque le voyageur
© La petite édition, 2012

 

Je connais des maisons dont le silence est le fruit. Ce sont des maisons couleurs d’octobre. Leur présence a longuement mûri comme pierres au soleil. Leurs murs se sont déployés sous les saisons. Leurs ardoises bleues se sont offertes aux pluies d’encre et aux écritures lichens. Leurs cheminées ont lentement fumé le ciel. Leur crépi s’est ridé. Et leurs portes savent ce que s’ouvrir veut dire.

Hameaux oubliés
Quel mot vous réveillera
Dans notre mémoire ?

Patrick Joquel
Maisons bleues
© Soc et Foc, 2007

  Les façades des maisons
sont visages d’attente
les fenêtres, les yeux de la place
les portes, ses bouches

Les façades des maisons
têtes serrées les unes contre les autres, chapeaux de brique,
regardent le cœur de la place
lieu de spectacles
et de marchandages
elles conversent en silence
telles d’anciennes voisines

Témoins éternels
des caravanes de l’Histoire

miroirs du passage
du temps.

Maram al-Masri
La robe froissée
© Éditions Bruno Doucey, 2012

 

La maison de ma fille

Ma fille habite un minuscule studio
au cinquième étage d’un vieil immeuble vétuste
où s’invite la pluie.
Sa fenêtre donne sur un désordre de toits
plantés d’antennes
qui donnent l’impression que les maisons
sont appareillées
comme des paraplégiques.
Quand ma fille s’approche de sa fenêtre,
le vertige me plante des clous dans les pieds
pourtant le monde, vu de sa fenêtre
est merveilleux et à portée de main.
Il ressemble beaucoup à cette ville que je connais
et qui se fait nommer Paris
par ses amoureux
des quatre coins du globe.

Francis Combes
La France aux quatre vents
© Le Temps des Cerises, 2015

 
Il y eut une maison
autrefois avec un porche.
Autrefois on lavait les rideaux
au printemps.
On ouvrait la maison au soleil
à la lumière du lac à la verdeur de l’herbe.
Maintenant les rideaux se déchirent
dans les toiles d’araignées.
La fumée se déroulait
par la cheminée qui s’écroule.
La maison ne respire plus.
On s’asseyait sur le banc de pierre
aujourd’hui
à moitié effondré
encore appuyé contre le mur au midi.
Vide oubliée tassée sur ses années
la maison disparaît envahie de broussailles.
Elle n’a plus de souvenirs.

Colette Andriot
Pendant que me revient l’odeur des foins
© Gros Textes, 2009

 

Le toit de notre maison,
C’est le grand ciel tout nu.
Notre maison est solide
Personne ne peut la renverser.

Les fondations de notre maison
C’est un coin de terre sans rien.
Notre maison est solide
Personne ne peut la ruiner.

Les murs de notre maison
C’est le froid et ce sont les vents.
Notre maison est solide
Personne ne peut l’atteindre.

À notre maison, il y a une fenêtre
À la fenêtre, tes yeux.
Notre maison est solide
C’est le cœur tsigane.

Jenuz Duka
Rromano Dives
© Disques Al Sur média 7

 

Recette

Prenez un toit de vieilles tuiles
un peu avant midi.
Placez tout à côté
un tilleul déjà grand
remué par le vent.
Mettez au-dessus d’eux
un ciel de bleu, lavé
par des nuages blancs.
Laissez-les faire.
Regardez-les.

Guillevic
Avec
© Éditions Gallimard, 1966.

 
Une maison qui fait la sieste
sous l’arche d’un marronnier

son dos brûlant contre les rochers

sa porte basse
au pied des vignes
parenthèse ouverte entre les pierres

une maison d’âge certain
de bleu silence
posée là pour que l’on s’arrête.

Brigitte Richter
Paroles des chemins
© Corps Puce et Donner à Voir 1992

  J’aime ma maison chaude
L’hiver quand le vent rôde.
 
Le printemps y pénètre
Par toutes les fenêtres
 
Sous le soleil qui sèche,
L’été, comme elle est fraîche !
 
Elle est douce en automne
Dans le parfum des pommes
 
Je t’aime bien, maison,
Souriant aux saisons.
 
Louis Guillaume
  Le ciel
fourbit ses gris
bitume et ardoise

Ma maison
a baissé les yeux
sur ses lampes

Mon chien rêve
en boule dans son panier
un rêve de feu
sous les paupières

Sur ma table
brille l’éclair
d’un papier froissé
arôme chocolat

Ce soir
l’orage pourra déverser
son noir sur mon toit
j’ai mes réserves d’or
à portée de main.

Marilyse Leroux, inédit.

 
Vieilles maison de mon pays
toutes percluses au bord des champs
Courbées sur l’ombre familière
Les talus vous verrouillent de leurs roses sauvages
Encloses en vos murailles vous mesurez le temps.
Des violons jouent aux meurtrières
Obscurcies de ronds d’hortensias.

Les marguerites dans l’été
Cernent l’abord des nids de pierre.
Vieilles demeures que recouvre
L’or des saisons décomposées
L’auge à vos seuils s’est ensablée
Sous des moissons et des déluges.

Laurence Lavrand
Orties
© Emgleo Breizh, 2015

  Maisons de mon enfance
j’aimais vos nappes blanches
et cette odeur de pain
qui se mêlait au bois.
Un soleil familier
saluait les persiennes.
Une table attendait
la venue du grand-père.
Une lampe disait
le soir ensommeillé
où cogne sourdement
le vieux parler des choses.

Alain Lemoigne
in Poèmes tout frais pour les enfants de la dernière pluie
(anthologie préparée par Christian Poslaniec) Accents La Farandole,1993

  Entre les vieilles pierres écartées
de la maison
il y a des trous.
Les oiseaux les trouvent bons
pour abriter leur vie.
J’ai écrit sur le mur
tout près d’un gazouillis pimpant :
« Gîte rural pour oiseaux,
deuxième pierre à droite. »
Si vous me demandez
« Combien d’étoiles ce gîte rural ? »
vous n’avez qu’à les compter
par-dessus le toit bleu.
On ne badine pas en étoiles
avec les oiseaux ;
ils sont toujours très zélés.

Michel Bruneau
in Poèmes tout frais pour les enfants de la dernière pluie
(anthologie préparée par Christian Poslaniec) Accents La Farandole,1993

 
L’air vieillot traîne un peu partout
où les cadres sont des yeux
posés dans la maison
aux murs pourtant refaits à neuf
mais les rides peintes
se voient quoiqu’il en soit
et donnent envie
de rehausser le toit
de se rapprocher du ciel
de voir de haut
d’être au-dessus
d’ une vue d’ensemble
que la décrépitude
soit un spectacle secret
nécessaire au goût progressif
du détachement des apparences.

Thierry Radière, inédit

  Notre demeure
a sept fenêtres
Le savais-tu ?

Sept fenêtres
Pour boire le ciel

Et nous y perdre

Sept fenêtres
Pour nous aimer
Comme des fruits

Dans le feuillage de l’été.

Hélène Cadou
Retour à l’été
© Éditions Serpenoises, Presses Universitaires de Nancy, 1993

  Murs lumineux et ardoises
Volets bleus et beau visage

Comme tout vient et se donne
D’une main insaisissable

Dans un immense matin
De secrets inépuisables

Les magnolias enneigent
Le silence du jardin

La meilleure part des jours
S’accorde à l’âme étonnée

Et même si la souffrance
Sur ses traits se donne à voir

Je le crois il faut le dire
Tout est ici et demeure
                                                             
Murs lumineux et ardoises
Volets bleus et beau visage

Jean-Pierre Boulic
Patiente variation
© La Part Commune, 2010

 

La maison

La maison s’est levée tôt.

Elle a du pain sur la planche,
Une table à repasser,

Une porte à chapitrer,
Un divan à dérider…

Voilà où ça vous mène,
La vie de toute une maisonnée !

Béatrice Libert

  Douceur des ruelles

Au secret des jalousies
La fraîcheur et l’ombre.

Alain Boudet
Partout des merveilles
© Écho Optique, 2015

  Dans ma maison
Le soleil pleut
L’herbe luit
La lune parle au vent
De l’infini

Sur le toit
Les lucarnes lorgnent
L’oiseau qui chante la nuit

La porte glisse en sourdine
Sous les pas de l’ombre
Et la feuille rouillée
Semble éprise du temps

J’ai des cailloux dans les tiroirs
Des giroflées dans les armoires
Et des pensées dans les couloirs
De ma maison

Béatrice Libert

 

 

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