La toile de l'un

Habiter

Habiter


 

  Dans le silex du vent
la tache claire de l’agapanthe
annonce
la douceur du refuge

On ne vit pas ici
par hasard.

Marie-Josée Christien
In Sentinelle © Citadel Road Editions

 

J’habite une blessure sacrée
j’habite des ancêtres imaginaires
j’habite un vouloir obscur
j’habite un long silence
j’habite une soif irrémédiable
j’habite un voyage de mille ans
j’habite une guerre de trois cent ans

j’habite de temps en temps une de mes plaies
chaque minute je change d’appartement
et toute paix m’effraie

j’habite donc une vaste pensée
mais le plus souvent je préfère me confiner
dans la plus petite de mes idées
ou bien j’habite une formule magique
les seuls premiers mots
tout le reste étant oublié
j’habite l’embâcle
j’habite la débâcle
j’habite le pan d’un grand désastre
j’habite souvent le pis le plus sec
du piton le plus efflanqué-la louve de ces nuages-
j’habite l’auréole des cétacés
j’habite un troupeau de chèvres tirant sur la tétine
de l’arganier le plus désolé
à vrai dire je ne sais plus mon adresse exacte

Aimé Césaire
Moi, laminaire
© Seuil, 1982

 

  J’ai rêvé d’une maison
qui serait ton corps à habiter
à travers des clairières en flammes, en fleurs
des fenêtres de sable clair à repousser.
 
Tu n’apparaissais qu’au lointain de l’oiseau
à son vol de faux qui à chaque fois m’éloigne
un peu plus de moi-même,
dans les bourgeons de lune et d’aiguilles
enfant-feuille, écureuil, rousse parmi les pins
peut-être pour respirer la sève crue encore,
comme elle perle quand la chaleur fait transpirer l’écorce
résine, miel amer, l’enfance toute entière
dans une goutte.
 
Je possédais pour toujours
la légèreté et la lumière, et dans des bras vêtus d’arbres
ailes repliées sur les cailloux du cœur
il n’y avait plus que transparence
où tout s’apaise.

Cécile A. Holdban

  J’ai découvert
Dans mon grenier
À même le sol
Côte à côte
Deux œufs
Blancs
Comme la neige
Perché dans l’ombre
Le pigeon
Attend
Ma clémence

Tout pouvoir
Surtout le
Mien
Me pèse

Dan Bouchery
Les éphémères
© Soc et Foc, 2009

 

Je t’attends
Comme une maison douce
Je t’attends
Toi, mon invitée
Le soir tombe
Et tu n’es pas là
J’ai mal à toutes mes embrasures
Aurais-je le courage
De fermer les volets ?

Michel Lautru
Autour de tout
Cotcodi n°63, 2003

  Ma maison est au ciel.
Oui, c’est là que je vis,
Là que j’ai un ami
Dont je ne sais rien,
Sinon qu’il m’aime bien
Et qu’il tient une étoile
Dns le creux de la main
Chaque fois qu’il me parle
Et que j’ai du chagrin.

Maurice Carême
Le mât de cocagne
© Les Éditions ouvrières, 1978

 

Habitations
J’ai logé dans le merle.
Je crois savoir comment
Le merle se réveille et comment il veut dire
La lumière, du noir encore, quelques couleurs,
Leurs jeux lourds à travers
Ce rouge qu’il se voit.
J’ai fait leur verticale
Avec les blés.
Avec l’étang j’ai tâtonné
Vers le sommeil toujours tout proche.
J’ai vécu dans la fleur.
J’y ai vu le soleil
Venir s’occuper d’elle
Et l’inciter longtemps
A tenter ses frontières.
J’ai vécu dans des fruits
Qui rêvaient de durer.
J’ai vécu dans des yeux
Qui pensaient à sourire.

Guillevic
Sphère
© éditions Gallimard, 1963

 

Les terres qui entourent ma demeure
​sont plus belles
depuis le jour
où il m’a été donné de voir
des visages que je ne connaissais pas.
Tout est plus beau.
Tout est plus beau.
Et la vie est pleine de gratitude.
Ces hôtes qui sont les miens
Ont rendu splendide ma demeure.

Poème du peuple inuit
©Rue du monde

  J’habite une maison de papier
sous un toit de carton
des rouleaux de lettres
tapissent mes murs

C’est une maison confortable
et douce comme le premier mot
que j’aie jamais entendu

Il parlait d’amour
sur une grande page blanche
avec des déliés et des pleins
qui dessinaient une route

J’ai emprunté cette route
sans savoir où j’allais

Bientôt
j’ai vu s’ouvrir une porte
et derrière cette porte
j’ai vu s’ouvrir une autre route

J’ai suivi cette route
et encore et encore
jusqu’à cette maison
où j’habite aujourd’hui

Tu la reconnaîtras :
les chemins qui y mènent
dessinent une étoile.

Marilyse Leroux (inédit)

 

Si les poètes étaient moins bêtes

Si les poètes étaient moins bêtes
Et s’ils étaient moins paresseux
Ils rendraient tout le monde heureux
Pour pouvoir s’occuper en paix
De leurs souffrances littéraires
Ils construiraient des maisons jaunes
Avec des grands jardins devant
Et des arbres pleins de zoizeaux
Des mirliflûtes et des lizeaux
Des mésongres et des feuvertes
Des plumuches, des picassiettes
Et des petits corbeaux tout rouges
Qui diraient la bonne aventure
Il y aurait de grands jets d’eau
Avec des lumières dedans
Il y aurait deux cents poissons
Depuis le crousque au ramusson
De la libelle au pépamule
De l’orphie au rara curule
Et de l’avoile au canisson
Il y aurait de l’air tout neuf
Parfumé de l’odeur des feuilles
On mangerait quand on voudrait
Et l’on travaillerait sans hâte
À construire des escaliers
Des formes encor jamais vues
Avec des bois veinés de mauve
Lisses comme elle sous les doigts
Mais les poètes sont très bêtes
Ils écrivent pour commencer
Au lieu de s’mettre à travailler
Et ça leur donne des remords
Qu’ils conservent jusqu’à la mort
Ravis d’avoir tellement souffert
On leur donne des grands discours
Et on les oublie en un jour
Mais s’ils étaient moins paresseux
On ne les oublierait qu’en deux.

Boris Vian
Cantilènes en gelée
© Union générale d’éditions (1920-1959)

 

De notre temps

 
Quand notre ciel se fermera
Ce soir
Quand notre ciel se résoudra
Ce soir
Quand les cimes de notre ciel
Se rejoindront
Ma maison aura un toit
Ce soir
Il fera clair dans ma maison
Quelle maison est ma maison
Une maison d’un peu partout
De tous, de n’importe qui
Mais les plus douces de mes maisons
Ce soir
Ce sont celles de mes amis.
 
Paul Éluard
Dignes de vivre, Œuvres complètes 1
© Gallimard, 1968

  Un jour la maison rêve on a le cœur
Qui s’en va loin,
Comme des oiseaux fragiles, dans la couleur tendre et légère.
Quelque chose ressemble à la joue
D’une pluie d’été dans les fleurs ;
On a du pollen dans les yeux, la maison brille.

James Sacré
Écritures courtes
© Le dé bleu / Écho optique, 1992

 

 

 

Habiter le silence
quelques mots suspendus
au fil de l’invisible
derrière des brouillards
où le temps se tait.

Michèle Morio

 

Il pleut sur le velux. L’hiver veille aux portes de la maison. Sur la route là-bas, quelqu’un s’arrête pour écouter la pluie ou bien l’écho d’un souvenir que lui revoie le vent. La pendule au salon, pacifiquement, débite le silence. On dirait le murmure d’une confidence. Tu es seul à écouter le temps qui passe, scandé par l’or du balancier. Et le feu dans la cheminée ne parvient pas à réchauffer l’ombre de toi, perdue dans de lointains hivers. Un soir encore à ne rien faire, sur le champ de bataille des mots perdus.

Claude Cailleau
Je, tu, il – © éditions Tensing 2016

 

Je ferai mon nid
dans tes mains
 
Une maison de plumes
légère dans le matin
 
Tu sauras me garder
à l’abri des grands vents
ou me réchauffer à ton souffle
 
J’aime tant le monde
entre tes mains
 
S’il te manque un fil
une brindille
dis-le moi
 
Je te les donnerai
pour que tu en fasses
bon usage
à la prochaine saison.

Marilyse Leroux
La vie bat aux tempes du poème, 2016

 

Maintenant
j’habite l’ailleurs
l’extrême bord
de l’invisible

Je me quitte
au-dedans de portes
dérobées en miroirs

Au bruissement des mots
c’est mon autre
que j’aperçois
dans le reflet de la vitre.

Michèle Morio

 

Habiter le désir
c’est attendre
ce que l’on ne sait attendre

Le manque de tout
comme le manque de rien

C’est s’élancer sans savoir
sur une terre sauvage
ouverte à tous les vents

Avec au cœur
l’étincelle d’un feu
pour les jours de grand froid.

Marilyse Leroux
La vie bat aux tempes du poème, 2016

 

 

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