La toile de l'un

La poésie, quand j’y pense…

La poésie, quand j’y pense…

Écrire, c’est pour moi une manière d’être, faite d’attention à ce (à ceux) qui m’entoure, et qui trouve écho en moi. C’est une manière d’être “à fleur” des choses, des êtres, des événements. C’est une sensibilité aux ambiances qui favorisent cette relation.

Une manière d’être engagé.

J’ai le sentiment d’être une petite fabrique d’écrits. Très souvent, je vois réellement le poème se composer. Je l’imagine (j’en vois l’image), je le mets en espace, comme s’il était déjà sur une feuille. Cette faculté de voir le texte est un puissant moteur pour écrire, travailler, modeler le poème.

Écrire n’est jamais séparé de lire, ni de dire.
Au moment de noter les mots sur la feuille, ils sont déjà incarnés dans ma voix. Ils ont une couleur vocale, un ton, une hauteur, un volume. Écrire est toujours, pour moi, le fruit d’un dire intérieur.

J’écris par intermittence.

Il y a des journées où je n’écris pas, mais à toutes, je veille.

Il n’y en a aucune où je ne lise pas un poème.

Être poète, c’est peut-être vivre en état permanent de veille sensible. Et aussi en état de constante disponibilité, afin de répondre aux sollicitations de ce qui m’entoure, et d’écrire pour en garder les traces ou en établir les prolongements.
J’écris un poème …

Je suis assis au bord de la mer. Dans mon bureau, peut-être. Je suis debout. Je reste immobile, ou bien je marche dans un sentier, sur une route ou au bord d’une rivière. Je marche dans une rue animée, ou une avenue déserte. Il fait nuit, ou bien midi va sonner.

J’ai mon carnet et un crayon. Ils me quittent rarement.

Parfois, les mots tardent à venir. Mais il est rare qu’aucun ne finisse par s’approcher, suivi de quelques autres. Une image à décrire, réelle ou intérieure. Une sensation à cerner, à nommer.

Certaines associations de mots sont neuves pour moi, riches d’images évidentes ou potentielles. D’autres sont plus quotidiennes, moins originales. Je n’en écarte aucune. Je ne privilégie pas les unes, ni n’écarte les autres. C’est ce mélange, me semble-t-il, qui permet au poème de couler de source, de devenir l’évidence qui touchera le lecteur.

En relisant le texte, il arrive pourtant qu’une retouche s’impose.

J’ai écrit un poème …

C’est quoi, être poète ? Question simple, évidente, mais réponse difficile. Je prends souvent deux images.

1) Écrire, c’est être un pommier. Longtemps, avant même que le fruit n’apparaisse, l’arbre prépare son fruit dans le creuset des saisons. Un jour, le fruit est là, mûr, offert, prêt à l’échange. Écrire un poème, ce n’est pas plus difficile que faire une pomme. Pas moins non plus. Le plus difficile, c’est d’être ouvert à l’alchimie de cette naissance.

2) Être poète, c’est pour moi être comme une éponge. Il s’agit de tout prendre, de tout absorber, d’être sensible à tout ce qui m’entoure. Faire oeuvre de poésie, c’est exprimer ce qui m’imbibe, trouver l’unité de l’éphémère, du multiple, du dépareillé.
Trouver du sens à l’insignifiant. Trouver le sens de l’insignifiant.

Je me méfie de ce que l’on appelle la poésie “pour enfants”. C’est un vocabulaire de marchands. On trouve dans les librairies des recueils de poèmes pour les enfants qui prennent les enfants pour ce qu’ils ne sont pas : des êtres sans épaisseur, sans angoisse, sans expérience, oscillant entre le “je”, le “jeu” et le”joli”. C’est, pour moi, une poésie indigne.

Je crois qu’il ne faut pas considérer l’enfant comme fond de commerce. Il ne faut pas le prendre pour l’imbécile qu’il n’est pas. Et les éditeurs à large vitrine sont trop tentés de le faire, eux qui proposent pour la jeunesse des ouvrages anthologiques essentiellement, ou qui bêtifient un peu.

Je me suis toujours efforcé, lors de mes rencontres avec des enfants ou des jeunes, de la maternelle au lycée, de dire des poèmes qui me touchent, et qui, je pense, par la magie de la voix, rejoignent souvent l’un ou l’autre. Souvent plusieurs. Parfois beaucoup.

De même, je lis souvent aux adultes, lors de soirées, quelques poèmes que des enfants ou des jeunes ont aimé. Parfois aussi des textes qu’ils ont écrits. Et la même magie opère.

C’est qu’il me semble que le poème touche en nous le nerf de l’enfance. Nous réagissons, sensibles comme on l’est d’une blessure, d’un nerf à vif. Souffrance, ou chatouille ? C’est selon. Et c’est aussi important dans un cas que dans l’autre.

Le poème dit tout. Il peut tout dire. L’amour et la mort, le soleil et la pluie, les larmes, la souffrance, la joie, l’oiseau. Les petites fleurs des champs … aussi. Mais pas d’abord. Pas essentiellement.

Je me souviens avoir fréquemment lu des poèmes de Conversation avec l’espadrille, recueil que Mauricio Rosencof, responsable du mouvement Tupamaro, a écrit au cours de son long séjour en prison. Et les mots de Rosencof ont toujours su rejoindre l’auditoire.

Si je me méfie des poèmes écrits tout spécialement pour les enfants, je crois que l’on peut faire des livres pour eux. Ce n’est pas seulement le choix des textes qui importe. Bien plus, c’est le choix de la médiation : le format, la mise en page, les caractères, le parti pris de l’illustration.

Tout livre pour enfant doit toucher aussi les adultes. L’enfant qui est en chacun d’eux.

Tout livre pour enfant doit être un chemin pour grandir.

On ne peut proposer de poèmes aux enfants que si l’on en lit soi-même. Et il faut en proposer plusieurs plutôt qu’en imposer un seul. C’est dans ceux que l’on aime qu’il faut puiser ceux que l’on choisira de présenter. Avec respect pour l’auditoire. Dans l’acte de lecture, le but n’est pas de choquer, mais de rejoindre.
On ne propose bien des poèmes aux enfants que si l’on en lit pour soi-même.
Écrire avec des enfants, c’est apprendre avec eux à écouter et à voir. C’est laisser venir les mots. C’est ensuite les entrechoquer, écouter les bruits que font leurs rencontres, saisir les étincelles qui naissent de leurs chocs.
Je me souviens de cet enfant de CE2 (la classe de Jacqueline Lautru) qui tenait dans sa main la jonquille – prise dans le bouquet posé sur le bureau – que je lui avais donnée, comme à tous les enfants de la classe. Il a noté deux mots. Deux seulement, fruits maigres de son observation : tige verte. Il était bien déçu. Presque honteux. Je lui ai proposé de jongler avec ces deux mots. Et tige verte est devenu vertige… Faire oeuvre de poésie, c’est ne pas passer à côté de cela.

Rime, ou pas rime ?

C’est une question souvent abordée lors des rencontres avec les jeunes lecteurs.

Comment répondre autrement qu’en citant l’Art Poétique de Verlaine ?

La rime est pour moi un instrument. Rien d’autre. Si elle s’impose, elle a sa place. Mais je ne la recherche pas. Ce qui compte, c’est la musique des mots, la mélodie qu’ils font entre eux en s’enchaînant les uns aux autres. La rime s’inscrit donc dans ce déroulement mélodique du poème. Si elle domine, elle est mauvaise. C’est un peu comme une couture qui serait trop visible, soulignant sans harmonie le pli que l’on donne au poème. La rime ne doit être que la réponse d’un mot à un autre. Ils doivent garder leur souplesse, hors du carcan des conventions d’écriture. Plus que la rime, c’est le rythme qui importe.

Ce qui importe dans le poème, ce n’est pas seulement ce qu’il dit. C’est ce qu’il me permet, à moi lecteur, d’y ajouter. C’est la charge supplémentaire d’émotion. Peu m’importe que je partage, en définitive, une émotion commune voulue par l’auteur. Bien plus, c’est que sa parole déclenche en moi l’émotion.

Lire de la poésie, ce n’est pas décrypter un message. C’est plutôt libérer en soi un flot par la parole d’un autre. Un flot d’images chargées d’émotions dont quelques-unes seulement sont communes au lecteur et à l’auteur.

Le poème, c’est le point de rencontre, part commune à deux sensibilités.

Lorsque je lis de la poésie, les poèmes qui me plaisent sont ceux auxquels j’adhère par la voix ou le regard, sensuellement. C’est ainsi qu’ils prennent sens.

Ils demeurent pour moi insensé si j’y suis insensible.

Écrire des poèmes, cela suppose une sensibilité au mot.

Le situer dans son épaisseur, le placer, avec ses racines, dans le poème.

C’est ainsi que le mot lui-même, expression de l’être, occupe l’espace de la feuille ou de la voix, apportant avec lui un cortège d’autres mots qui s’agencent, se mettent en place.

La poésie n’est pas ailleurs, ni là-bas.
Elle est ici. Partout où vivent, travaillent, jouent, aiment, souffrent et meurent les hommes. Partout où les uns et les autres, retrouvant leur regard d’ enfance, percent l’enveloppe quotidienne des habitudes pour montrer la vie, nos vies, enfin décapées, sous un jour nouveau.
La poésie, c’est la parole qui éclaire ce dont elle parle d’un point de vue particulier. Et ce point de vue est différent pour chaque poète. Peut-être même varie-t-il à chaque instant. Écrire, lire de la poésie, c’est pour moi un exercice de grande humilité à l’égard des mots. Les accepter. Admettre les surprises qu’ils nous réservent. Leur résistance à nous parler. Accepter de les aimer sans chaque fois les comprendre tout à fait, tout entier. Les accueillir, simples et vivants. Muets parfois.
Les sensations avant le sens.
Les signes avant la signification.
Quand je déchargeais les camions, à 18 ans, sur les quais de fret de la STAO, j’entendais dire des colis sans destinataire identifié et qui attendaient vainement la livraison : “ils sont en souffrance”.
Attendre, c’est autant souffrir qu’espérer. J’ai beaucoup écrit de poèmes, à cette époque, sur les cartons d’emballages…Le poète est un mâcheur de mondes et un marcheur des mots.

Alain Boudet

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