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Le sens du poème

Le sens du poème

Lit-on un poème comme on lit le journal ?

D’où vient cette habitude qui nous conduit à chercher invariablement à savoir ce que “le poète a voulu dire” ? Cette curiosité serait-elle typiquement occidentale ? Une certitude : en France, instituée à l’école, la question pervertit la relation à chaque poème ainsi abordé, ce qui est dommage, et au fait poétique, ce qui est coupable. Ce comportement scolaro-universitaire (qui convient peut-être à la lecture des textes en prose) prépare hélas des lecteurs qui, sauf exception méritoire, seront exclus de l’approche vivante que suppose toute lecture de la poésie.

“Qu’est-ce que le poète a voulu dire ?” pose bien sûr la question du sens. Des mots. Du texte. Des images. Surtout des images que les mots entre eux établissent. Or la relation du lecteur au texte ne se situe pas d’abord à ce degré de compréhension. Le sens n’est pas exclusivement signification, et “comprendre”, c’est d’abord “prendre avec soi”. Remontons, comme la question nous y invite, à la démarche du poète. C’est habituellement le monde dans lequel il vit, ce qu’il voit, entend, ressent, pressent qui est à l’origine et parfois à l’initiative de l’écriture. On peut d’ailleurs penser qu’il existe, déjà, un décalage entre l’image réelle du monde (si elle existe) et l’image poétique que le poète instaure désormais dans l’objet tangible du poème. Comme l’affirmait André Breton, “le poète n’a pas voulu dire, il a dit”. Le poème, univers de mots, de sons, d’images parle bien sûr, et le terreau du sens – lieu, instant, durée, odeurs, émotions, “vraie vie” en somme – n’est pas absent de ce qu’il dit. Mais ce n’est pas ce qui d’abord importe.

Par expérience, les mots de mes poèmes relus parfois longtemps après leur achèvement me parlent différemment de ce qu’ils me disaient au moment de leur écriture pour autant qu’il m’en souvienne. Le poète est son premier lecteur et relecteur. Il est à même de faire l’expérience de ce décalage entre une signification qui préexiste (peut-être) au texte, et ce que le texte, dans son surgissement patient réfléchit, infléchit, institue. N’est-ce pas là d’ailleurs le sens même de l’acte d’écriture ?

Le lecteur, aborde le texte achevé. Il est lui-même peuplé d’images et de sons, pétri de mots. La lecture permettra (ou non) la rencontre de deux univers. Il y aura (ou non) convergence. La lecture permettra (ou non) la coïncidence d’une parole et d’une attente. Écrivant cela, je revois un professeur de maths moderne dessiner des cercles qui, s’imbriquant, avaient une partie commune. C’est très exactement l’image qui me vient à l’esprit quand je parle de coïncidence d’univers entre le lecteur et le texte. Ainsi, tout poème prend sens dans cette rencontre qu’est la lecture. Il y a le cercle du poète (pas disparu !) et celui du lecteur. Il y a la rencontre de ces deux ensembles, de ces deux univers, de ces deux sensibilités qui vont, dans la démarche de lecture, se rejoindre, s’imbriquer, s’éclairer sans se confondre pour autant.

J’ajouterai que si la rencontre n’a pas lieu, ce n’est pas la “faute” du poète ni d’ailleurs celle du lecteur. Il ne doit y avoir là aucune notion de culpabilité. Être lecteur de poésie ne signifie pas que l’on accroche à tout poème de rencontre. Mais soyons bien persuadés qu’un poème qui ne nous dit rien aujourd’hui nous parlera peut-être demain.

La rencontre est toujours possible.

Alain Boudet

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