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Je vous en suppliefaites quelques chose
 apprenez un pas une danse
 quelque chose qui vous justifie
 qui vous donne le droit
 d’être habillés de votre peau et de votre poil
 apprenez à marcher et à rire
 parce que ce serait trop bête à la fin
 que tant soient morts
 et que vous viviez
 sans rien faire de votre vie.
 
Charlotte Delbo, déportée à Auschwitz- BirkenauUne connaissance inutile, éditions de Minuit
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État de guerre
J’ai dans les mainsUn pain plus biologique
 Que celui des fast food
 
J’ai dans les mainsUn outil plus performant que
 Les foreuses visseuses ponceuses
 
J’ai dans les mainsUne arme plus sophistiquée
 Que les bombes bactériologiques
 
J’ai dans les mainsL’arme de la liberté
 Celle qui peut dire oui
 Celle qui sait dire non
 
Le poèmeScandé d’une voix ferme
 Arraché à la nuit de l’infertile peur
 
© Béatrice Libert |  | 
Le siècle a faim de crimesIl mange ses enfants
 Se repaît de leurs chairs
 Saccage les jardins
 Le siècle a soif de honte
 Il broie les orphelins
 Perfectionne les bombes
 Irradie les cerveaux
 
La paix est jugée insultanteLa parole est murée dans son trou
 Les visages cagoulés par la peur
 Pourtant nos vœux ont force de loi
 Et des mains à chaque heure
 Rebâtissent confiantes
 Le temple de la fragilité
 
© Béatrice Libert | 
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Écouter les arbresÉcouter les herbes
 Écouter les ombres
 Écouter les hommes
 
Pour que ce qui croîtet que ce qui crie
 s’écrive.
 
© Alain Boudet |  | 
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La bêtise, l’inculturel’indifférence, le peu de souci
 des uns et des autres
 me font hausser les épauleset les yeux au plafond
 dans l’espoir de ne pas toucher
 les abysses du ciel
 et le monde du travailmangeur d’âme, d’homme
 et de temps,
 sous l’eau me garde la tête.
 
© Jean-Albert Guénéganin Poétique de la terre à la mer – Editinter (octobre 2014)
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De l’homme :   « Qu’il creuse chaque jourla tombe de son inhumanité
 mais il pense haut et dit
 le plus bas possible
 qu’il aurait dû naître, meilleur. »
                     * Et l’homme…que pense-t-il
 du toit ?
 « Friableface aux agressions
 de la vie… »
 L’homme, tôt invité des beaux jours
 s’agenouille et tête levée
 vers le ciel abritant plus de faucons
 que de colombes, pense :
 guérir, choisirdevenir un troglodyte.
 
© Jean-Albert Guénéganin Poétique de la terre à la mer – Editinter (octobre 2014)
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|  | Ce que crient les réfugiés les sans-papiers,
 les âmes en détresse,
 les enfants malades
 et qui ont faim :
 
Un toitest-ce trop demander ?
 © Jean-Albert Guénéganin Poétique de la terre à la mer – Editinter (octobre 2014)
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L’enfant abattu par des soldats à Nyanga
(Afrique du Sud) L’enfant n’est pas mortl’enfant lève les poings contre sa mère
 qui crie Afrika, crie l’odeur
 de la liberté et du veld
 dans les ghettos du cœur cerné
 
L’enfant lève les poings contre son pèredans la marche des générations
 qui crie Afrika, crie l’odeur
 de la justice et du sang
 dans les rues de la fierté armée
 L’enfant n’est pas mort ni à Langa ni à Nyangani à Orlando ni à Sharpeville
 ni au commissariat de Philippi
 car il gît une balle dans la tête
 
L’enfant est l’ombre noire des soldatsen faction avec fusils blindés et matraques
 l’enfant est de toutes les assemblées toutes les lois
 l’enfant regarde par la fenêtre des maisons et dans le cœur des mères
 L’enfant qui voulait simplement jouer au soldat à Nyanga est partout
 L’enfant devenu homme arpente toute l’Afrique
 L’enfant devenu géant voyage dans le monde entier
 Sans laissez-passer 
Ingrid Jonker
 in « L’enfant n’est pas mort »
 traduction de Philippe Savafi
 Poème proposé par René Robinet. Merci à lui…
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Appel à la brèche(extrait) 
Hiérarchie, chef
 de chef
 de sous-
 chef  joueur de pipeau aux sous-
 fifres…
 consignes,
 ordres,
 contrordres,
 directives,
 missions,
 sou-
 mission à l’autorité qu’on emitoufle
 dans le velours
 d’une rhétorique partenariale…
 courtisés,
 courtisans,
 convoiteurs de pavois
 et autres lécheurs de séant invétérés qui louvoient entre les bêlements ambiants, si vibrants de franche camaraderie !… Mais, toujours,
 quelque part,
 une poignée
 de mauvais élèves – poings levés dans la tête –
 qui se figurent des airs de luth final
 et qui sou-
 rient,
 sinon sou-
 pirent de joie
 quand la machine s’enraye
 et doute
 de ses roueries et rouages.
 Morgan RietEn pays disparate – éd. Clapàs – 2010
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Rêvolution
                                                    Ne cherchons pas ailleurs qu’icioù s’épanouit la fine fleur du jour
 le corps brûlant, la vie
 la femme aux lèvres inconnues
 
c’était la volonté du Dieuqu’il subsistât un ciel
 par-dessus les usines
 et les poings levés
 
dans la fumée de nos paroles au caféqu’espérions-nous
 sinon le baiser pur d’un avenir
 à jamais hors d’atteinte.
 © Christophe JubienExtrait de Demain est un jour d’autrefois éditions Clapas, 2002
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Comme rouge cœur,Une fleur d’espoir,
 La poésie
 Cogne à la fenêtre
 Des jours avenir
 Et la flamme danse
 Aux yeux des enfants.
 
© Paul Bergèse (inédit) |  | Le jour incendié Ondoie sur les murs
 Et il faut encore
 Un peu plus
 
Quitter cette peau séculairePour là
 Là
 Là
 Retrouver la juste lumière
 La cicatrisationInespérée
 À déchiffrer sur la page d’écriture
 
Comme ce vent qui s’engouffreSans relâche
 Ramenant
 Les cris de lamentations
 Bien trop réelles sous nos ratures.
 
© Benjamin Hopin (inédit) | 
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BLOUSES BLANCHES
Les fous avaient des blouses blanches et les gardiens des fous portaient des blouses blanches. Les blouses des fous étaient mates et celles des gardiens luisantes. Mais quand tombait la nuit on ne voyait plus la différence. Pour être fou il fallait beaucoup de ténacité. La langue du fou était cassante au premier abord et caressante quand on y réfléchissait bien. La hiérarchie parmi les fous était subtile, à se faire et à se défaire toujours, tandis que celle des gardiens semblait immuable. Être fou d’amour et de vérité n’était pas la même chose que d’être gardien de l’amour et de la vérité. L’amour était ailleurs. La vérité était ailleurs.
 
Parfois un excès surgissait : un acte d’amour fou, un acte de vérité furieuse. Puis tout rentrait dans l’ordre. Les fous et les gardiens attendaient un autre amour, une autre vérité, mais sans y croire tout à fait. Cet état d’incertitude les minait, les rendait fragiles. Des salles d’attente étaient aménagées avec des sièges confortables et des brochures disposées sur des tables basses. Les brochures décrivaient un monde meilleur avec piscine, pelouse, digicode, vidéosurveillance et room service 24 heures sur 24 ; il suffisait de claquer des doigts pour que la lumière soit dès qu’on entrait dans une pièce. Les fous, étonnés, faisaient un bruit de gorge pour voir, un clic tel que le pratiquent certains dialectes en Afrique, mais le variateur ne s’y trompait pas. Les fous s’insurgeaient. Ils exigeaient le règne de la lumière.
 
Claude Held
 extrait de Nouvelles du XXIe siècle,
 © Propos2éditions, 2014
 
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| Tu te cognes au carreau, petit enfant, Tel un papillon que personne ne trouve beau.
 Exclus, rejetés, d’autres aussi se cognent
 Contre cette vitre invisible
 Que l’on appelle « frontière » :
 On se lève. On part. On croit s’en aller.
 Dans l’eau claire et froide on est ombre.
 Chimère. Mirage.
 On croit s’en aller. On est parti. On n’existe pas.
 Ombres si près de la lumière. Ombres.
 Ombres toujours.
 
Jacqueline Heldextrait de Le chant des invisibles,
 © éd. Corps Puce, 2010
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Tu marches
Tu marches dans un cimetière-jardinDédié aux martyrs du fascisme.
 Autour de toi
 Des noms se lèvent.
 Autour de toi
 Des noms s’envolent.
 Des noms
 Effacés de pluie
 Au murmure d’herbe.
 Vers quel Visage
 Eclaboussé d’étoiles ?
 
Jacqueline Heldextrait de Mots sauvages pour les sans-voix,
 © éd. Gros Textes, 2004
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Là- haut
De plus en plus j’aime les villesJe les aime et je les redoute
 Je les aime sous les arbres ancestraux des parcs
 Face aux plus beaux monuments
 À la faveur des plus beaux fleuves
 Dans l’insolent soleil d’un octobre éclatant
 Un père garde son enfant dans l’herbe rase
 La tente est à quelques pas
 Elle joue à une dînette triste
 Sous les séquoias géants
 Les hommes y sont des enfants qui chantent
 Ils taillent au coupe coupe leur maison
 Pour le cortège qui advient
 Une princesse
 Sa longue tresse
 Sa mère la reine
 Son pas décidé
 Emmènent leur monde à l’abri
 Scintillent
 Avec la Saône en bas qui s’en va
        Réjane Niogret, inédit 2014 |  | 
| Quand la Barbarie Eut enfin pris Possession
 Du Monde, dans sa Totalité,
 Quand elle eut Craché
 Ses Dernières Volontés,
 Que les poètes soient
 Exterminés
 Et
 Leurs livres
 Tous brûlés,
 La Terre se mit debout.
 -Mais, il paraît qu’elle est ronde ?
 Cela ne se peut !
 Debout !
 Pour ne plus courber l’échine !
 Debout !
 Pour ne plus baisser la tête !
 Elle hurla
 À réveiller le silence,
 Elle hurla
 À briser les cailloux.
 Que chaque goutte de pluie,
 Que chaque souffle de vent
 Remplissent l’air de murmures.
 Il suffirait d’un mot,
 Un seul !
 Il suffirait de le planter,
 Il suffirait de patienter,
 Qu’il fasse des petits,
 Qu’ils dessinent un ruisseau,
 Qu’ils découpent un bateau
 Et voguent.
 
Ce mot,Le connais-tu ?
 
© Dan Bouchery 
  |  | D’immenses étendues de sables de soleils
 et de vents entremêlés
 
Des siècles de tracesde pistes
 et de combats
 engloutis par le déferlement des dunes
 Avec pour seule compagnedans le tumulte incessant du silence
 une prière
 nous parcourons nomades infinis
 la longue et lente noria des puits enfouies
 
Seule une prièreétoile filante en notre souffle
 pour entendre à bout d’espoir
 la grimace aigre-douce du chant des poulies
 Peuple lent et de tendre noblesse ta trace est dans l’espace
 d’une tonitruante présence
 
L’hommemarcheur infatigable
 abandonne en chemin ses empreintes
 Seule une ombre le suitle poursuit
 
Les vents de sableune à une
 enfouissent nos légendes
 mais le désir des peuples évanouis
 résonne encore entre les hautes herbes des savanes oubliées
 Entre nos morts ruisselle un désert inouïautour de moi
 leur parole enfin déliée
 et libres
 j’entends tourbillonner
 d’impalpables esprits
 
Fugaces compagnons de nos civilisations inachevéesdemeurons fidèles à nos sentiers
 l’éternité s’enfante à perpétuité
 et contre toute haine
 la parole irrigue l’espérance
 Sur les marches de haute frontièreerrant d’un pas boueux
 un homme en ses fatigues
 un homme en son aurore
 vient offrir aux libertés
 les prénoms de son peuple
 
© Patrick JoquelContre toute haine, la parole (1991)
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Lâcher
N’entends-tu pas ce déluge
 Qui nous verticale
 Qui nous sanglot
 Qui nous entonnoir
 Qui nous musique
 Qui nous écluse
 Qui nous éclat de voix ?
 Ne vois-tu pas la nuitQui nous sac de jute
 Qui nous charbon
 Qui nous harpon
 Qui nous édredon
 Qui nous réglisse
 Qui nous velours frappé ?
 
Qu’as-tu fait de ton journalQui nous carnet
 Qui nous ciel
 Qui nous cordelette
 Qui nous semaine
 Qui nous retenue d’eau ?
 
( A ma mère…) 
© Claire Kalfon |  | 
| Quand il ne reste rien qu’une poignée de rien
 dans de vieux sacs
 un chien pour compagnon
 nécessité d’aller
 mendier
 un repas
 une nuit à l’abri du froid
 quelques pièces
 celui qui se nourrit
 de courbes ascendantes
 de profits
 de statistiques
 de suffisance
 de malheur aux pauvres
 et rentre au chaud
 dans le moelleux le parfumé
 celui-là
 qui est-il
 
© Colette Andriot (inédit) |  | Avec une poignée de signes tu tentes d’écrire
 un poème
 un appel
 un éloge
 une injure
 une lettre d’amour
 
avec les mêmes chiffreset des années de rêves
 de calculs
 une équipe de chercheurs
 a envoyé un petit robot
 nous raconter une planète
 le banquier calculeson retour sur investissement
 le sans-abri mesure ce qui lui manque
 
peu à peu la vie humaines’écrit en statistiques
 petit enfant de l’amour
 sera un coût
 l’amour on lui met un corset
 petit enfant
 ils voudront t’apprendre
 à être un équilibre budgétaire
 sois mauvais élève
 avec les lettres avec les chiffres
 une plus belle histoire tu écriras
 un poème
 une lettre d’amour
 le récit des planètes et des étoiles
 
© Colette Andriot (inédit) | 
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Décalage
Tu dis plantons des arbresIls rasent la planète
 
Tu dis recyclons nos déchetsIls font déborder les poubelles
 
Tu dis à bas les frontièresIls agitent leurs drapeaux
 
Tu dis partageons le travailIls calibrent les chômeurs
 
Tu dis tous les hommes sont frèresIls continuent la guerre
 
Tu dis vive la poésieIls gouvernent en prose
 
Jean-Claude Touzeil(Random du petit tamis, éditions  Donner à Voir)
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De ce qui fut
Pendant les heures entières de l’exilavant que les souffles ne se figent
 loin de l’immédiate portée des fureurs
 sur les crêtes des mers
 dans les amers des cavernes
 capter le murmure de l’absence
 Et dans la perception juste et patiente
 des Magnifiques et des Sans-Droits
 pour ne rien oublier
 de ce qui fut
 consentir
 à la persistance recueillie
 du chant des mères.
 Françoise Coulminparu dans la revue L’Herbe Folle N°3 –
 Automne 2014
 |  | Passion lunes 
Tous en masques lunairesDéfilons dans le désert.
 – Fantômes de nos vies
 qui se reproduisent –
 Tous ces masques lunairesVivent en pleine lumière.
 – Soleil, chauffe nos paupières !
 – L’aube a chassé la vision.
 
© Martine Magtyar | 
|  | Mes chers semblables, 
comment pouvez-vousvous courber encore?
 
Comment pouvez-vousne pas sourire?
 
Le monde resplendit,infatigable.
 
Qu’il soit regardé ! Yannis RitsosSymphonie de Printemps
 © éditions Bruno Doucey, 2012
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Devoir de poète
La mâchoire du destin se dresse sur la plage où nous sommes à genoux. Le sceau des genoux dans le sable de nos vies est son point de départ. Nous l’avons construite pour nous éviter d’avoir à bondir. 
La mâchoire du destin est une invention humaine. Nous l’avons dessinée afin de dissimuler notre incapacité à assumer notre liberté. 
Nous lui avons dédié des hymnes, élevé des statues, bâti des temples. Nous lui avons fait offrande de nos yeux et de nos oreilles. Nous lui avons sacrifié des jeunes hommes et des jeunes filles. 
Nous l’avons perfectionnée à la mesure de nos progrès techniques. Il suffit désormais d’effleurer du doigt un bouton pour qu’elle s’imprime en trois dimensions, se multiplie, envahisse notre quotidien. Nous ne faisons plus un geste sans qu’elle se referme sur le bras, l’épaule, demain la tête de l’individu. 
Il suffirait pourtant d’un coup de pied pour s’en débarrasser. © Françoise Hàn |  | 
Hors saisons
     Il n’y a plus de saisons.(L’opinion publique)
 Il nous restela cinquième saison
 sans calendrier
 sans lunaisons
 sans effeuillementsla saison unique
 d’un monde possible
 et qui n’a pas éclos
 En elle reverdissent
 les attentes d’antan
 les autrefois enfouis
 
en elle s’épanouissentfleurs et fruits
 sur la même branche
 
© Françoise Hàn | 
|  | Si le temps te gifle sois l’indocile
 une aile dans l’œil
 et de l’encre aux doigts
 Dresse ton silencedebout dans l’hiver
 à la face de Saturne
 © Jacqueline Saint-Jean |  |