La toile de l'un

Marjorie Tixier

Marjorie Tixier

Talar

J’ai patiné sur ton disque d’argent
Mon épouse à la main
Les yeux pleins de perles de givre.
Tu es de ces lieux dont l’âme
Flotte sur les lèvres du silence.
Surprise un matin de maladie
La nature, l’air de rien,
L’a emporté sur tout le reste.
Jusqu’au dernier moment
Je me suis retournée
La main en arrière
Pour emporter la poudre de ton visage
Dans les replis de ma mémoire.
Et quand tu as disparu
J’ai su qu’une trace sur ma peau
Pouvait survenir et demeurer.

Soy y sé

Pas besoin de sujet pour dire qui je suis
Ni pour écrire ce que je sais
Loin de ma terre, des foins du grand pré
Et des rires d’Amélie
Enfin, je sais qui je suis.
Dans la splendeur d’une nature
À la puissance volcanique,
Dans le reflux d’une immensité
À la force océanique
Mes yeux s’ouvrent de comprendre
Que mon vaisseau s’ancre
Là où j’habite.
Partir loin, regarder, écrire
Et sur ma main
Tatouer l’ancre du bateau
Qui toujours me ramène
Au sable bicolore
Qui coule dans mes veines.

Flavio

Flavio emmène des voyageurs
Sur les crêtes de Suriplaza.
Il en emmène un ou deux à la fois
Comme une pincée de sel
Sur un plat délicat
Car il n’aime ni le bruit
Ni la poussière des camions.
Il a l’œil et le regard
L’acuité de l’aigle qui guette la lumière
Et connaît la couleur
Interdite au vulgaire.
Flavio sait les noms, les latitudes et les distances.
Il connaît les plantes et les rites des animaux.
Il explique, partage et laisse un peu de lui
Avant de poursuivre sa route solitaire.
Cartographe de l’Altiplano
Flavio s’en ira bientôt
Sans ignorer que la lune pleine
Éclaire assez
Pour lire dans la nuit chilienne
Comme dans un livre ouvert.

Tes yeux dans la nuit

Deux yeux dans la nuit
Deux yeux de topaze
À l’horizon de ma couche blanche
Mon sommeil est distrait
Pour mieux t’aimer
Valparaíso.
Tes yeux sont mes trésors
Longtemps je t’ai rêvée
Femme multicolore
À la poitrine féconde
De quarante-deux collines.
Longtemps je t’ai attendue
Ruse de mes silences
Carte postale sur mon mur.
Et me voilà, allongée contre toi
Comme au flanc d’une femme aimée
Comblée par le retour du marin.
Valparaíso, tu n’es ni la plus belle
Ni la plus intelligente,
Mais parce que tu portes en toi
La promesse d’un regard
Ancré au port
Tu es ma reine sans couronne
Qui va son chemin.

La jeune mariée

Le cargo prend le temps
De quitter la baie
Comme le soleil
De tomber derrière la colline.
Deux adieux de corne de brume
Et bientôt personne ne le verra plus
Il sera parti et moi aussi
On ne reste pas au paradis.
Étrange journée de soleil ardent
En plein hiver
Manches courtes évidentes
Pour moi qui me crois toujours en été
Ou peut-être au printemps
Sous le rire des cerisiers en fleurs.
Tu jongles avec les extrêmes
Pour grandir à l’horizon
Et allonger ton couple
Sur le lit de nacre
Des immeubles perdus dans le lointain
Evanescent.
Tu rougis
Timide soudain
Pourtant tes joues de jeune mariée
Ne craignent plus rien.

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