La toile de l'un

Sandra Dobek

Sandra Dobek

Gaza

Il n’y a plus d’enfants ici.
Dans leurs larmes
ils se sont noyés.
Dans leur regard flou de vieillard
le monde entier est un cadavre.

Le frère a remplacé le père.
Les petits portent à la bouche
des souvenirs en éclats froids,
la main immobile
de la mère
contre la terre
qui la dévore.

Il n’y a plus d’enfants ici.
Leur mémoire crève leur avenir.
Ils ont vécu plus que ma vie,
ils ont souffert plus que mes morts.
Ne leur dites pas que je respire,
que je sais,
que je les ignore.

Il n’y a plus d’enfants ici.

 

Si le voyage en vaut la peine


Sur la feuille
une balafre.
Mais voilà que ta main
défroisse
le papier creusé de sillons.
La rayure
dessine un sillage
de mots en route
de vagabonds.
Dans la rature
l’élan
l’impulsion
le mouvement
le déclic puis
la claque
le tremblement
le trouble
le détour
la promesse
le bourgeon.
Dans la rature,
ce n’est pas l’erreur.
C’est l’errance
nécessaire.

 

Promenons-nous dans les bois


Elle joue à pile ou face
son profil
et confesse
à mille amis
les mille détails
de sa vie
défile en rouge
devant leurs yeux
sur un podium de pacotille
une poupée en talon aiguille.
Derrière ses fenêtres
le loup guette.
Il l’a likée de puis longtemps,
c’est un follower épatant.
– Pourquoi as-tu de grandes dents ?
– Ce sont des pixels, mon enfant.

 

Bout de ficelle

Çà et là des ruines
– belles –
où je m’assois.

Le soir y poussent des coquelicots,
des bleuets, des pavots,
des cerfs-volants bleus et rouges
qui tachent les nuages.

Au genou gauche une écorchure,
sucrée comme une fraise des bois.
Je boite heureuse au gré des pierres ;
A chaque pas vos pas,
parallèles et contraires,

permanents.

Dans le regard que je pose
sur les gens, les arbres, les choses,
c’est un peu de vous,

mes parents.

 

Fourbi

J’ai pris le bidule pour le poser là,
Et tous les machins se sont écroulés,
Tous les trucs en vrac ont dégringolé,
Moi dans ce micmac j’ai vite trébuché.

J’ai pris le bidule et l’ai mis ici,
Entre deux trois choses plus ou moins jolies,
Il s’y est senti, semble-t-il, à l’aise,
S’est mis à chanter en sol fa si dièse.

Dans ce brouhaha de bric et de broc,
Sens dessus dessous,
Les mots à l’envers
Sont tombés
Par terre,
Et ce fut le choc !
Demain j’ouvrirai
Mon dictionnaire.

 

Météo

Aujourd’hui, il pleut.
Demain, il fera beau.
Et quand l’hiver arrivera,
assurément, il neigera.

Qui est-il ? demande l’enfant.
C’est Miss Météo qui le prétend…

Mais comme toi tu t’en émerveilles
tu cherches un peintre à ton soleil.

***

 

dès à présent je sais que mes journées seront celles que mes journées seront telles que je les aurai faites que je les aurai tuées dès à présent je sais le sang le sable le sel dès à présent je sais dès à présent je fais le linceul et le ciel dès à présent je tais les éclats les merveilles
Dès à présent, je prends mon temps.
Puisque dans chaque poussière d’instant
Soupire, fragile, l’éternité.

 

 

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