Sherwin Bitsui est membre de la communauté Diné (Navajo). Il appartient au clan Todich’ii’nii (Bitter Water Clan, soit clan de l’eau amère), il vit entre White Cone, Arizona, sur la réserve Navajo, et la ville de Tucson. Il a obtenu une maîtrise d’écriture créative à l’institut des arts des Indiens. Il est à ce jour l’auteur de deux recueils de poésie : Shapeshift (2003) et Flood Song (2009). Pour un lecteur Français, il n’est certes pas l’auteur le plus abordable parce que des références lui manqueront pour saisir l’élan et la pensée de Sherwin. Pourtant au-delà du mystérieux et du souffle purement Navajo, quelque chose du rêve éveillé est palpable, saisissable, que notre esprit peut enfourcher, chevaucher, accompagner et ainsi découvrir un monde en pleine mutation. |
Le célèbre poète Arthur Szé a fait l’éloge de ce jeune poète dont l’univers est imprégné de culture Amérindienne, de mythologie et d’histoire. Sa poésie met en évidence la tension existant au carrefour de la culture Amérindienne et de la culture urbaine contemporaine. Ses poèmes sont imagés, surréalistes, riches de détails, ancrés dans les paysages du sud-ouest. Ses poèmes comme des fragments flottent sur des courants de conscience et explorent les traditions des Indiens d’Amérique qui se heurtent au postmodernisme. Il a reçu une bourse Truman Capote pour la création et le prix Whiting Writers. Il a déclaré : « j’ai grandi dans une famille traditionnelle et j’ai toujours su que le langage a un grand pouvoir, qu’il est capable de faire arriver des choses, de les transformer, de les rejouer aussi. Quand j’ai eu accès aux formes poétiques contemporaines par le biais d’anthologies, dans les livres, je me suis senti attiré, les structures, les métaphores résonnaient en moi à un niveau d’humanité élémentaire aussi j’ai suivi cette force naturelle et gravitationnelle qu’on appelle poésie. » |
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TricksterIl était là – avant que l’action ascendante ne s’élève à la rencontre de cet hectare aux quatre coins duquel la soif, avant que les oiseaux n’avalent l’eau du bain et n’explosent en demi phrases, avant que le sans nom ne commence à siroter le sang des corneilles depuis l’atlas noueux du soleil. Il était là, dormait un oeil plus fermé que l’autre, il regardait, quand il n’aurait pas dû. Il dit, dans la salle d’attente de la résurrection sur une autre Réserve : » Tu vaux la peine d’attendre », et il continua de creuser pour trouver de l’eau, ses mains telles une carte routière, dans un seau de blancs coquillages à l’extérieur de la porte nord. Il lança une couverture au-dessus du dénouement qui ondulait sur le rivage et il vit des Indiens se penchant sur « le début », il se glissa hors de carapaces de tortues, caressa le col de bouteilles, et visa la première poche d’air dans le paragraphe final. Il vit des anthropologues hameçonner une bande de terre à l’aide de leur colonne vertébrale incurvée, et il souleva les chasseurs une minute entière au-dessus de sa cabine de péage, en disant » feu devant, au feu ». Quand ils le montrèrent du doigt, il bondit dans le bleu sombre de ce côté de la barrière; c’était aussi simple que ça : de la sève séchait dans les canaux lacrymaux du vers sectionné, l’interrupteur d’allumage sur on—de bleus chevaux paissaient au nord, baignés d’aube naissante. |
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AtlasCette nuit j’ai dessiné l’aile d’un corbeau dans un cercle ai compté une demi-seconde avant qu’elle ne grandisse et devienne main. J’enveloppe sa prise usée au-dessus de nos pieds alors que nous jetons les aiguilles de pin dans un pot de terre. Il chante une élégie pour menottes, murmure ses moments de silence au plus fort de la circulation à l’heure de pointe, il parle le dialecte d’un chariot élévateur qui monte comme la fumée de cèdre au-dessus des mesas viabilisées jusqu’au pâté de maison suivant. Deux faisceaux de phares s’évasent depuis le bleu crépuscule –les yeux des corbeaux scrutent Coyote qui se mord la queue sur la fourchette levée, dont la forme rappelle une autre réserve– un autre chèque annulé. Un doigt pointé sur lui, celui-là— plongeur, il est mort comme ça les gyrophares clignotent malgré les faux-plis des rubans de sa chemise. Une lumière bourdonnant fort claqua au-dessus de l’évier dans la cuisine. Je n’avais pas remarqué la pique dans la mise en garde: Coyote éparpillait les phares plutôt que les étoiles; les aboiements des chiens que la pensée de la lune fait taire; les constellations cliquetaient depuis l’atmosphère de la frissonnante gourde.. Combien d’Indiens ont avancé leurs pas sur les voies ferrées à l’écoute du martèlement des sabots des chevaux dans une courbe au-dessus de la rivière qui se ruait sur eux telle un noeud de veines griffonnées comme des mots sur un lit défait? Dans une grotte sur le derrière d’un mensonge les soldats regardent la naissance d’un nouvel atlas, encore un mile, disent-ils, encore un mile. |
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Couvertures d’écorcesLà au nord, le nord où ils marchent dans de longues couvertures d’écorces frisées, dans le sable ils divisent une ligne, qui a l’odeur de coquillage écrasé, le vent du désert, la rivière, où ils t’ont laissée appeler les loups des collines, une liste de noms grognant au sein des tourbillons. Femme du nord, soeur perdue tu applaudissais les nuages de pluie. Nous y étions une fois à brandir la foudre au-dessus des têtes des serpents endormis. Femme, soeur, la grotte veut le retour de notre peau, elle veut secouer nos jambes pour nous débarrasser du sel et dénatter nos cheveux en des mèches de fil tiré depuis la poche sans fond d’un homme qui écorce alors qu’il se souvient du soleil levant. A cinq heures du matin, les criquets s’assemblent sur le seuil, chacun d’eux avec une poignée de fumée, rampe vers la maison d’une femme en pleurs, qui casse des rochers sur la cuisse d’un homme en train de s’étirer, elle nous ordonne de jeter des pièces dans son ombre, en disant, » Là, c’est là que nous sommes nés. » Nés avec des feuilles sous nos manteaux, deux ans de solitude, le ciel n’a jamais navigué dans le but de nous quitter, nous avons ramé vers lui, pour ne trouver qu’un coquillage, une maison, et une femme en pleurs. |