Écrire, c’est construire du texte. Cela nécessite d’avoir à sa disposition matériaux, outils et savoir(s)-faire…
Il faut disposer d’un minimum de ces moyens pour « entrer en écriture », mais ils se complètent, se forgent, s’enrichissent et se complexifient au fur et à mesure des apprentissages et de la maturation de chacun.
On peut admettre qu’il est possible d’entendre et de lire de manière profitable de la poésie sans en écrire. L’inverse est plus improbable et rapidement stérile parce que sans propos et sans fondements.
Toute volonté d’une approche de la poésie se doit d’être complète pour être efficiente, en associant son écoute, sa lecture (dimensions plutôt culturelles) et l’écriture (dimension plutôt artistique).
C’est la conjonction des apprentissages scolaires de la langue maternelle d’une part et de la connaissance des textes contemporains ou patrimoniaux d’autre part qui sera le terreau autant que le chemin de cette familiarisation avec la poésie. Cela suppose une certaine régularité dans la fréquentation des textes et dans la fréquence des pratiques d’écriture.
matériau
Le matériau du texte, ce sont les mots. Voilà une affirmation en forme de lapalissade. Dire cela, pourtant, c’est dire que le mot est premier, et non pas l’idée, l’émotion ou le sentiment. C’est avec le lexique dont il dispose que l’enfant va écrire et c’est de l’usage qu’il en fera que naîtra l’émotion, le sentiment. Le travail de l’enseignant, dès la maternelle, vise à l’enrichir, à l’élargir, à l’éclairer.
La poésie invite à écouter les mots. D’abord pour le sens qu’on leur attribue à des fins de communication et l’on sait bien que là déjà, il n’y a pas un sens, mais des sens qui varient sensiblement avec l’expérience du langage et du réel propre à chaque enfant, à chaque individu. Ensuite, pour tous les possibles dont ils sont porteurs (« Être ange » comme le dit Jacques Prévert, c’est « étrange »).
Explorer les mots, les désarticuler, les interroger, les écouter, les mastiquer, aller au-delà, oser des a peu-près, c’est un apprentissage ludique, subversif et déstabilisant par certains côtés, qui développe l’imaginaire, déséquilibre le rapport à la langue, aide à prendre conscience des écarts vis-à-vis de la norme (comme un cheval fait un écart). Et cela en pleine conscience de ce que l’on fait : prendre le pouvoir sur les mots et manipuler la langue pour ce qu’elle est : un outil de création autant que de communication. On s’apercevra que dans cette démarche, les élèves en difficulté dans les démarches d’apprentissages essentiellement scolaires sont tout à fait capable d’être dans une dynamique de plaisir et de réussite.
Le lexique est, bien sûr, connoté. L’expérience de vie s’y trouve influente, et joue sur la/les significations. Ainsi, parler avec les enfants de « la mer », cela amènera à l’esprit d’un enfant de Douarnenez des réalités bien différentes de celles auxquelles pensera un enfant de Collioure. Et que dire d’un enfant qui n’a jamais quitté Louplande ou la Courneuve ? Il faut être conscient de ces différences donc travailler avec cela. On admettra dès lors que la compréhension d’un poème lu ou entendu variera nécessairement pour chaque lecteur ou auditeur en fonction de ce que nous venons d’observer.
Outils
Ce sont d’abord les outils syntaxiques et grammaticaux qui sont mobilisés pour l’écriture de la poésie comme pour l’écriture de tout autre texte. Ce sont donc les apprentissages scolaires qui constituent la « caisse à outils de base » de toute démarche d’écriture, fut-elle poétique.
Au-delà de ces connaissances de la langue commune, l’écriture poétique a ses spécificités. Celles-ci s’appuient d’ailleurs sur les premières. C’est en effet un usage conscient des structures syntaxiques qui permettent les manipulations de la langue. Un exemple bien connu, c’est le « cortège » dans lequel Prévert nous entraîne. Il associe là des mots de manière incongrue, mais dans un parfait respect des structures de la phrase.
L’écriture poétique est très liée à la production d’images. On aura donc intérêt à travailler la comparaison pour permettre l’expression des impressions, des intuitions, sous la forme d’images. Cette pratique est une bonne approche de la métaphore et l’on pourra montrer aux enfants comment les images prennent vigueur et force en franchissant la terrible disparition du « comme ». Par exemple, « Ma main est comme une araignée » gagne en force en devenant « Ma main est une araignée ».
L’écriture poétique est aussi une écriture de l’ellipse. Il n’est pas nécessaire de tout dire pour bien dire. Le poème exprime autant dans ce qu’il suggère que dans ce qu’il nomme. Guillevic aimait à dire : « J’écris avec ma gomme ». On gagne souvent en expressivité en se privant de certains mots : articles, conjonctions, mais aussi propositions relatives, etc…
À titre d’exemple, Il peut être intéressant de « dégraisser » un texte prosodique dont l’objet n’est aucunement poétique (un article de journal, un texte documentaire) et de voir quelles transformations on peut opérer, allant parfois jusqu’à la métamorphose.
savoir(s)-faire
Quand il s’agit d’expérimenter l’écriture, on a souvent recours à des jeux d’écriture poétique. Leur intérêt, c’est qu’ils permettent une mise à l’étrier, une prise en main du crayon, une dé complexion à l’égard de l’écriture. On y recourra donc pour cela. Les jeux d’écriture permettent également de se mettre en situation avec des contraintes. On ne cherche pas, alors, à « écrire un poème ». On écrit, c’est tout, un texte qui sera ou ne sera pas poétique, sachant que l’on est dans une démarche de jeu qui n’est, à priori, pas très impliquante.
La meilleure manière d’acquérir connaissances et savoir(s)-faire, c’est de découvrir ce que les poètes ont fait. Pour cela, on aura recours à trois démarches fondatrices qui permettent fréquentation et imprégnation : l’écoute, la lecture personnelle et la mémorisation.
Ces démarches permettent d’abord de prendre contact avec cette manière particulière qu’a la poésie de traiter la langue, de produire du sens qui ne s’apparente pas nécessairement à une signification. On adhère ou non au poème sans qu’il y ait à en tirer des conclusions définitives. Souvenons-nous de ce que disait Octavio Paz : « la poésie n’est pas incompréhensible, elle est inexplicable »1.
Ces démarches permettent de découvrir des structures de textes qui pourront ensuite être réemployées2.
La fréquentation régulière des poèmes confortera cette découverte de structures et de la spécificité de la langue poétique. Pour cela, on pourra mettre en place des moments d’écoute, l’adulte lisant régulièrement des poèmes sans autre objectif que de permettre la découverte de poèmes par le jeune auditoire. Il ne s’agit pas là d’expliquer, de commenter, de justifier. Simplement de lire. Le texte étant ensuite mis à la disposition des enfants par affichage, insertion dans un classeur commun, un fichier… On invitera progressivement les enfants à entrer eux-mêmes dans cette démarche de lecture à haute voix, en prenant bien soin de leur donner les outils ad hoc pour que leur lecture à haute voix soit de bonne qualité.
On favorisera aussi des moments de lecture personnelle, à « voix intérieure », en mettant à la disposition des enfants des livres de poésie, et en leur donnant du temps pour les consulter, les feuilleter, lire et copier les textes qui les touchent en constituant au fil du temps leur anthologie personnelle. Il est certain qu’à l’occasion, ils auront envie d’aller jusqu’à la mémorisation de tel ou tel texte, surtout s’ils y sont encouragés. Toutes ces activités institueront une manière de rituel en poésie qui sera de nature à créer une effective imprégnation et à « libérer les possibles ».
« C’est en lisant qu’on devient liseron, et en écrivant qu’on devient écriveron. »3. Mais il convient pour cela de proposer des moments d’écriture réguliers et fréquents, instituant ainsi une sorte de rituel d’écriture. De même que l’on mettra en place des moments d’écoute, de lecture, on donnera aux enfants des occasions d’écrire. Cela pourra être 10 minutes dans le prolongement de la lecture quotidienne à haute voix d’un poème. On pourra laisser opérer le poème et l’écho qu’il peut trouver en chacun, ou proposer un début de texte, ou laisser résonner un mot, ou laisser chacun libre de sa démarche. Ce doit être un moment de liberté, sans nécessaire communication aux autres de ce qui a été écrit, surtout au début de la mise en place de cette proposition. Il est intéressant que chaque enfant ait, pour cela, un cahier personnel.
Il peut également être intéressant de proposer des moments d’écriture plus longs, avec des consignes qui aideront chacun à entrer dans la démarche, et à ne pas être sans ressources pour écrire. Ces moments donneront naissance à des textes poétiques qui pourront être communiqués oralement au groupe et retravaillés. Écrire, c’est en effet le plus souvent « récrire ».
1- Octavio Paz, cité par Jean-Pierre Siméon dans la présentation 2006 du « Prix des Découvreurs » de la ville de Boulogne-sur-Mer.
2 – Former des enfants lecteurs et producteurs de poèmes – Groupe d’Écouen, Josette Jolibert (Hachette éducation, 1992)
3 – phrase attribuée à Raymond Queneau.