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Rubrique le poème du mois

Si dans le vent qui te bouscule

tu entendais chanter le jour

Si dans la pluie qui te chahute

tu entendais rire le jour

Si dans le froid qui te resserre

tu entendais frémir le jour,

Ouvre à deux battants

ta fenêtre,

ouvre tes bras,

ouvre ton cœur,

c’est l’oiseau fou qui te répète

la chanson des petits bonheurs.

 

Paul Bergèse
C’est un peu comme si tu venais chez moi
Éditions Soc et Foc, 2001

Livre de poésie du mois

Ce point sur la carte
Cette tache noire au centre de l’Europe
cette tache rouge
cette tache de feu cette tache de suie
cette tache de sang cette tache de cendres
pour des millions
un lieu sans nom.
De tous les pays d’Europe
de tous les points de l’horizon
les trains convergeaient
vers l’in-nommé
chargés de millions d’êtres
qui étaient versés là sans savoir où c’était
versés avec leur vie
avec leurs souvenirs
avec leurs petits maux
et leur grand étonnement
avec leur regard qui interrogeait
et qui n’y a vu que du feu,
qui ont brûlé là sans savoir où ils étaient.
Aujourd’hui on sait
Depuis quelques années on sait
On sait que ce point sur la carte
c’est Auschwitz
On sait cela
Et pour le reste on croit savoir.

**********

J’ai résisté à l’injustice
elle m’a prise
et elle m’a remise à la mort
j’ai résisté à la mort
si fort
qu’elle n’a pas pu m’ôter la vie
pour se venger
elle m’en a ôté l’envie
et
elle m’a fait un certificat
je l’ai là
signé d’une croix
pour me servir la prochaine fois.

Page de couverture du livre de poésie de Charlotte Delbo Prière aux vivants pour leur pardonner d'être vivants et autres poèmes

Prière aux vivants pour leur pardonner d’être vivants
et autres poèmes

Charlotte Delbo

Les Éditions de Minuit, 2024
ISBN 978-2-7073-5506-5
7,50 €

Charlotte Delbo commencera à écrire les témoignages sur sa vie, ou plutôt sa survie, dans les camps de concentration d’Auschwitz et Ravensbrück, dès son retour « de l’autre monde » mais mettra vingt ans avant de commencer à les publier. Cet ouvrage des Éditions de Minuit rassemble son œuvre poétique complète qui était disséminée dans ses différents livres de témoignage. Cette « Prière aux vivants pour leur pardonner d’être vivants » est un livre poignant et utile parce que les mots de l’auteure nous imposent des images que beaucoup n’ont pas voulu voir ni même croire. C’est presque un devoir de le lire pour maintenir vivante la mémoire de toutes ces victimes auxquelles Charlotte Delbo donne souvent un nom.
Elle raconte la vie dans les camps mais aussi les souvenirs heureux avec son mari Georges Dudach, résistant qui fut arrêté en même temps qu’elle et fusillé en 1942. « Vous ne pouvez pas comprendre / vous qui n’avez pas écouté / battre le cœur / de celui qui va mourir« . Il est souvent question d’incompréhension entre ceux qui ont vécu cet enfer et les autres. Le titre du livre est assez explicite à ce sujet. L’auteure elle-même a ces mots définitifs en parlant de ce « là-bas » : « Nous ne sommes pas revenus« .
L’ouvrage se termine par des poèmes inédits et d’autres relatant des faits plus récents (Franco en Espagne, les grèves des ouvriers polonais en 1981, les manifestations des « Folles de mai » pendant la dictature en Argentine. (Charlotte Delbo meurt en 1985). Des poèmes d’une force et d’une violence inouïes, comme si Charlotte Delbo donnait libre cours à un lyrisme qui se révolte pour vivre et dénoncer. N’a-t-elle pas dit, dans un entretien : « Seuls les poètes donnent à voir. Seul le langage de la poésie permet de donner à voir et à sentir« .

Robert Froger

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