Jacqueline Held – Le chant des invisibles

Jacqueline Held – Le chant des invisibles

Jacqueline Held Romancière, poète, essayiste, Jacqueline Held a aussi écrit plusieurs ouvrages théoriques sur la littérature de jeunesse. Depuis des années elle ne cesse de dénoncer avec les armes de la poésie la honte de la misère du monde. Voir notamment son ouvrage Mots sauvages d’un temps sauvage, publié aux éditions Gros Textes, 2005.

Les invisibles Multiples, innombrables, ils passent, ils glissent, ils souffrent, étrangers, chômeurs, S.D.F., sans-papiers… « Étrangers », ils le sont tous, au sens où tout est dit et fait pour nous les rendre étranges, inquiétants… absents. INVISIBLES. Les voyons-nous encore ?

Tu recueilles
Patiemment
Des miettes de nouvelles,
Des poussières de cœur,
Des choses infimes,
Petits bouts de tout,
Petits bouts de rien…
Il est des enfances
Sans mots et sans gestes,
Sans regards, sans sourires.

Appuyée contre une tombe
Au texte depuis longtemps effacé,
La vieille femme dort,
Vêtue de loques,
Entourée de sacs plastiques,
De paquets de journaux
Serrés de cordes à linge.
Froid. Neige.
Plus de mots. Plus de voix.
Seul le silence.
Ne plus se réveiller.
Peut-être…
Avec un peu de chance.

Itinérants, chômeurs, précaires,
Vous étiez oiseaux, insectes,
Fléau parasitaire, énième plaie d’Egypte,
Vous abattant sur la première ville venue,
Réclamant en vain du travail,
Chapardant, traînant, mendiant,
Ne laissant plus ni brin d’herbe
Ni miette après votre départ…

Habituée à l’indifférence, abritée
Derrière le feuillage doux des arbres,
Les vois-tu encore,
Ces hommes et femmes sans qualité ?
Dans l’éphémère qui nous entoure, nous
habite,
Nous constitue, dans l’infinie fragilité de
toute vie,
Dans la ville mouvante, les vois-tu
encore,
Dans les métros, sur les trottoirs,
Les abîmés, les expulsés,
Les endettés, les déclassés,
Les éloignés, les maltraités,

Les sans ceci, les sans cela.
Les invisibles, notre part d’ombre,
Doutant ou attendant d’improbables
aurores ?

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