Quatrième de couverture
« Un poète original » qui « nous ravit des courbes de ses chantiers provocants », écrit René Char dans un poème dédié à Georges L. Godeau. En effet, ce poète parle
des choses vues et vécues, des hommes et des femmes au travail, de leurs peines ou de leurs petites joies quotidiennes, dans des poèmes en prose construits avec une grande exigence d’écriture. Il est écrivain comme
il a été ingénieur des Travaux Publics, sans un mot de trop ni de moins, simplement efficace. Parce que, « après tout », la poésie sert à réconcilier les gens avec leur vie. Et, superbe provocation, les lecteurs avec la poésie.
Georges L. Godeau est né en 1921 à Villiers-en-Plaine (Deux-Sèvres). Depuis Les Mots Difficiles (Préface de Georges Mounin, 1962, Gallimard) jusqu’à Avec René Char (1989, le dé bleu), il a publié une douzaine de livres. Ses
poèmes sont abondamment traduits à l’étranger, notamment en URSS et au Japon.
Voici quelques extraits
À la biblio
Un gosse à la main, elle cherche un livre
dans les étagères. Elle est si grise que je
dis pour l’aider: «Celui-ci, il m’a serré le
cou». Elle regarde mon cou, usé comme
un arbre mort, elle tripote le livre et, en fin
de compte, elle le met dans son sac car,
elle l’a vu, je suis inoffensif.
Avec un peu de chance, nous allons
faire le même voyage.
Réveil
Le dimanche, mes parents me don-
naient une pièce pour aller à la fête.
Une fois que je dormais d’un œil,
j’entendis qu’ils n’avaient plus un sou. Je
prolongeai ma sieste puis me plaignis
d’une colique qui me tint longtemps plié
sous le tilleul. Après, je réparai mon vélo.
Il était trop tard. Mon père me proposa
une partie de palets. Le dîner fut gai. Per-
sonne ne s’enquit de ma santé.
Mon pays natal
J’y suis revenu, après quarante ans.
Dans les chemins, j’ai roulé au pas, j’ai
reconnu quelques maisons, les volets
étaient clos, les gens morts. Je me suis sou-
venu de leur nom, leur allure, leur atte-
lage. Un moment, j’ai descendu. Un vieil
homme était là. Il contemplait ma longue
voiture, ma cravate, ma tête rasée. À
mesure qu’il me remettait, ses paupières
battaient, sa moustache riait, il cherchait
des mots. J’ai offert les miens, et ma main,
qu’il ne savait pas comment prendre.
Le baron
La famille de la F… roulait en carrosse.
Elle enterrait ses morts plus haut que les
autres. Les croix dentelées tranchaient sur
le ciel. Au château, des paons jetaient leur
cri sur le village.
Le dernier du nom est mort misérable.
Sa barbe était sale, sa cuisine noire, il
allait en ville à pied. Mon père n’aimait
pas cet homme qui le saluait avec son cha-
peau.
Aujourd’hui, ils sont voisins au cime-
tière, nu-tête.
Don Juan
Je n’étais pas beau mais j’avais l’au-
dace. Fantôme d’étudiant, j’errais dans les
cafés. Les joueurs de cartes biglaient, ils
avaient des filles à marier. Le dimanche,
au stade, elles étaient là. Pour elles, je
marquais des buts. Elles applaudissaient.
Au bal du soir, j’arrivais en retard. Elles
m’attendaient. Mains dans les poches, je
les évaluais. Leurs mères me le rendaient.
Pour les surprendre, j’invitais la plus
laide. Chiffon, elle se blottissait pour
cacher son visage. Je lui parlais douce-
ment pour la rassurer. Elle me serrait,
reconnaissante.
Comédien
Je suis Frédéric, vingt-cinq ans, prince
de la ville. Seul, dans mon coin, je me
concentre. Car bientôt j’entre en scène
pour lire des poèmes, ils sont là dans ces
cahiers épars, même je crois que je les
aime, ça m’aidera.
Mais je dois prendre mon temps, rêver
comme si j’étais parti, que j’oubliais de
revenir, tendre la corde puis lâcher douce-
ment, effleurer. Tous, je les sens, qui me
suivent, si près, comme s’ils avaient peur
de me perdre.
Lecture publique
Avec mes poèmes, nous sommes seuls
contre tous. Ils savent que le moment est
grave, ils font tout ce qu’ils peuvent pour
m’aider mais ils sont parfois des déserts à
n’en plus finir. Se presser serait suicidaire.
Traîner plutôt la jambe, en profiter pour
croiser des regards en attendant l’oasis,
l’ombre fraîche.
Entre chaque texte, replié, je dors d’un
œil.
Surdité
J’entends le vent qui couche l’herbe, qui
secoue les tôles des cabanes, je salue
l’homme dans sa vigne. Il lève la main,
c’est tout un discours. Au retour, le fac-
teur me fait signe, il montre le ciel, je vois
qu’il va pleuvoir. J’entre à la boulangerie.
Bonjour! Deux flûtes, un sourire, merci,
au revoir. Dans la voiture, mon chien tou-
jours content remue la queue. Il ne sait
pas que je suis sourd. Et le compte fait,
moi non plus.