Traces
Lorsque je quitte un bivouac, sac au dos, chaussures aux pieds, je me retourne toujours et, toujours, j’ai cette gratitude. Pour le lieu. Pour la nuit qui m’a laissée la traverser sans heurt. Pour toutes les petites bêtes qui ont partagé leur gîte le temps de quelques heures. Gratitude pour les hommes, aussi, qui ne sont pas venus et n’ont pas fait de mal.
En moi, il y a toujours ce minuscule émerveillement d’avoir passé là un temps hors des contraintes du temps. De m’être endormie parce qu’il faisait nuit, de m’être levée parce que le jour, lui aussi se levait. De n’avoir eu à demander l’autorisation de personne. Émerveillement de n’être ni chez moi ni chez quelqu’un d’autre. De n’avoir rien donné et d’avoir tout reçu sans avoir rien pris.
Au moment de reprendre la route, je me retourne toujours mais ce n’est jamais par regret. C’est pour voir le lieu une dernière fois. Et c’est toujours une première fois, ce paysage redessiné par une nuit en corps à corps.
Si je pouvais considérer mon passage sur terre comme je considère mes nuits sur le bord des chemins, comme la vie serait douce et légère.
Quand je quitterai ce monde, je voudrais ne pas laisser d’autre trace que celles que je laisse au matin : de hautes herbes couchées au sol qui se relèveront d’elles-mêmes sans que personne – pas même moi – n’en soit témoin.
Flora Delalande
in Cairns 34 « La grâce »

Cairns 34
Éditions de La Pointe Sarène et Éditions Gros Textes, 2024
ISSN : 1959-2523
10,00 €
Le numéro 34 de la revue Cairns traite de La Grâce, thème du Printemps des Poètes 2024.
Cairns propose de nombreuses pistes pédagogiques, à destination des élèves et enseignants de tous cycles, pour prolonger la lecture des poèmes.
Pour ce numéro 34, la revue donne la parole à une trentaine de poètes avant de conclure avec une quinzaine de notes de lecture « pour une bibliothèque idéale ».
Robert Froger