LA POÉSIE… À TABLE !

LA POÉSIE… À TABLE !

Poème pour n’avoir plus faim

Quand mon ventre a faim
grenouille
gargouille
quand mon ventre a faim
je mangerais ma main.

Quand mon ventre a faim
potage et patouille
citron et citrouille
gigot ratatouille
quand mon ventre a faim…

le loup n’est pas loin !

Alain Boudet
Poèmes pour sautijouer
©Les Carnets du Dessert de Lune, 2010

  Bouffer du python

C’est pas folichon
Croquer du boa
Même cuit à l’étouffé
C’est dur à digérer
Le crotale
C’est pas génial
La vipère
Ça me reste en travers
Moi
En guise de hors d’œuvre
Ce que je préfère
C’est avaler des couleuvres

Salvatore Sanfilippo
À tous les contrariés, 2012

   
Le lapin tchèque

Quand maman décide de nous faire
un « lapin tchèque »,
il ne fait pas bon être lapin !
Elle attrape l’animal par les oreilles
et lui donne un fameux coup de bâton
qui l’assomme pour de bon.
Après, armée d’un couteau pointu,
elle le déshabille proprement,
vire les boyaux pour le chat,
met la peau de côté
qu’elle installera plus tard
sur des branchettes en U
« pour chiffonnier
quand i passera »
et commence à le découper
en jolis morceaux.
Petit costume de farine
façon clown blanc
et direction l’huile bouillante…

Si on n’en reprend pas
au moins deux fois,
elle est vexée
et s’inquiète
sur la qualité de notre appétit

Jean-Claude Touzeil
Petits cailloux pour Gita
©Echo Optique, 2007

  Réunion de famille

Le dimanche, c’est poulet. Poulet haricots verts
Ou poulet flageolets. Le dimanche on sort les verres à pied
Et un grand cru de chez Franprix.
Le dimanche Paolo et Myrtha viennent en ville.
Luc et Jennifer n’ont que quelques pas à faire.
Josefa a rôti l’animal et ouvert le Cassegrain
Qu’elle avait sous la main. Jeannot a débouché la bouteille
Et en douce, en a goûté une larme.
Avant le grand sacrifice perpétré par Josefa,
On remplit les verres et on trinque à la cuisinière :
 ̶ Encore un que les autres n’auront pas !
On mange avec les doigts, on bave sur sa serviette,
On déblatère sur les voisins et sur les cousins d’Asnières.
On refait le monde, le foot et le cinéma.
On dézingue les politiques, on reprend du fromage
Et une part de charlotte aux fraises. Jeannot débouche
Un autre grand cru à huit quatre-vingt-dix…
Quel beau dimanche ! dans huit jours, on remettra ça.

Joëlle Brière
Vingt sur vin
© La Renarde Rouge, 2016

  Recette

peser les mots
compter les jours

éplucher les questions
découper en quartiers

mélanger bonheurs sucrés
et regrets très frais

faire revenir les jours passés
à feu doux

et réchauffer avant de servir
les mots d’amour braisés à cœur.

Luce Guilbaud
in Mes premières comptines et autres petits poèmes
Anthologie par Béatrice Libert
© Couleur livres, 2019

 

Mets et mots

Les mets et les mots
c’est pareil
Il faut aller les chercher
les choisir
les éplucher
les couper d’une lame aiguisée
il faut les cuire dans le plaisir
longtemps les laisser mijoter
puis les ôter du feu
les regarder
les humer
et puis les disposer
et les assaisonner
avant de les déguster

François David
Les croqueurs de mots
© møtus, 2014

  Prenez un vieux réveil
(de ceux qui n’ont pas de pile)
Plumez-le
Ôtez les aiguilles
(abstenez-vous si votre vaccin anti-tétanos date du Titanic)
Faites revenir des oignons émincés
et des petits dés de lard
Ajoutez le réveil et salez
Mouillez d’un verre d’eau
et d’un verre de vin blanc
Jetez dans le tout une gousse d’ail
et un bouquet garni
Quand le réveil sonne c’est cuit

Michel Besnier
Cuisine au beurre noir
© møtus, 2019

  À la table de mon enfance
j’ai dîné dans la solitude

Quelque chose de ma vie
remuait dans le silence

Le couvert était d’argent
le vin clair
la nappe froide

un feu d’arrière saison
bougeait dans l’ombre du mur

mais si fort que j’aie fermé les yeux
rien n’a pris place en cet espace
ni visage, ni mot, ni geste
rien
que l’absence de mon enfance
qui dînait ce soir à ma table.

Brigitte Richter
Œuvre poétique, 1993

 

C’est pâteux

Dimanche papa et maman
M’ont emmené chez des amis.
J’ai promis d’être
im-pec-cable !
Les grands parlent entre eux
de choses de leur passé
je suis le seul enfant et le
repas dure mille ans
même le dessert est pire que
des lentilles.
Il n’y a ni télé, ni chat,
ni jardin, ni grenadine…
et il y a des fourmis dans mes jambes
avec lesquelles
je ne peux même pas courir.

Jean-Hugues Malineau
Les goûts de mon enfance
© La Renarde Rouge, 2001

  L’hiver
Parmi les petits matins givrés
Tu sais
Quand le bleu se cristallise
Et que l’air est si cassant
Que le moindre couteau sur la table
En ébrèche le silence

Tu regardes
Avant d’y mordre
Un filet de miel
Couler
Sur la tartine encore chaude
Alors toutes les joies
Du dernier été
Reviennent croustiller
Ton palais

Patrick Joquel
Heureux comme l’orque
© Pluie d’étoiles éditions, 2001

  L’écumoire des amitiés

Elle est accrochée dans toutes les cuisines bien tenues.
Et sert à écumer dans le chaudron des amitiés.
Elle plonge dans la masse.
En ressort et fait son travail.
Elle laisse échapper les amitiés liquides,
Et réserve les amitiés solides.

Pascale Albert
Friser l’ordinaire
© Echo Optique, 2002

 

Dans la cuisine, enveloppé
 dans un torchon, le gros pain
 de quatre livres que papa a rapporté
 du Mans, puisque son train s’arrête
 dans cette ville.
Il a aussi rapporté des rillettes.
Le pain grillé sent bon et le beurre fond
 dans les trous de la mie.
Papa dort, il est rentré cette nuit.
 On ne fait pas de bruit.
 On part à l’école.

À quatre heures, on aura des tartines de rillettes.

Colette Touillier
C’est papa qui conduit le train
© L’idée bleue, 2005

 

Cinq sur cinq

Si tous les jours
vous en avez gros sur la patate,
vous êtes dans les choux,
vous ramenez votre fraise,
vous avez aussi la pêche,
et même si vous prenez un marron,
c’est bien :
vous avez consommé
cinq fruits et légumes.

Constantin Kaïtéris
Un jardin sur le bout de la langue
© møtus, 2014

  Un jour

Un jour, on s’assoira à la table de lumière.
Il y aura des anges, des enfants
Et la joie, savamment arlequine.
Et nous boirons des songes grenadine
Dans de hauts verres émeraude.

Béatrice Libert
Dans les bras du monde
© Soc et Foc, 2014

 

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