Tu as accroché tes rêves au vestiaire. Ta blouse grise cache mal la splendeur de tes hanches. La colle et l’acétone décapent jusqu’au sans la peau de tes doigts que tu emmailloteras ce soir de gaze et de velpeau. Les gens diront que pour une fille d’usine tu fais bien du chichi en portant des gants avec le vieux manteau de ta mère. (…/…)
Le père Noël est un vieux chômeur solitaire qui admire les reflets de sa houppelande et la chaleur de son étoffe. Il donne un ticket aux enfants pour une réduction-surprise à l’intérieur du grand magasin. Avec sa tête de vieil ermite, il se plaît sur le catalogue au milieu des magnétoscopes et des congélateurs qu’il n’a jamais eus. Le soir, quand il se déshabille avec tous les Pères Noël du vestiaire, il est triste de retrouver son vieux blouson, la nuit glacée, sa maison vide. Mais, s’il ne fait pas de tache durant quinze jours sur sa fausse hermine, l’an prochain peut-être ils le reprendront.
Jean-Claude Martin Le Tour de la question – le dé bleu & Le Noroît, 1990
Les hommes aussi portent des vêtements blancs
c’est le signe
des toiles blanches fines et nonchalantes
ils ont déjà aimé beaucoup ou jamais
dans le livre la vie est la blancheur du désir
ils marchent sûrs et en attente
dans le nom d’un amour
le pantalon bouge doucement sur leur cuisse
la chemise blanche le pantalon les chaussures blanches aussi
dans un grand hôtel au bord des tennis
elle, regarde les hommes
de l’autre côté des grilles
l’élégante blancheur du temps du désir
elle,
mendie
Patricia Cottron-Daubigné Au cœur battant
Un soir – je croise
ma robe vendue un jour
de vide-grenier.
La femme est belle et la robe
a refait sa vie – c’est bien.
On déplie pour l’égarée
la carte bleue des lins.
L’haleine de juin
pèse le pollen des mots.
Le ciel semble à portée de mains,
peut-être plus !
Ce que l’enfance a laissé s’éclaire,
en quête de légende.
De la phrase, à peine,
au hasard de la peau,
souvenir-satin
d’un corsage tendu de sèves.
Un bonheur naïf est ici
dans la petite sourdine qu’a posée la campagne :
chiens au loin, tourterelles, cheval,
l’air…
quand on rentre le linge seul
au retour de la ville, du travail et du bruit
les pieds dans l’herbe du grand pré
les mains lentes décrochant une à une
des pièces de couleurs
dans la dernière heure du jour
un mardi en avril.
Me suis réveillé
En retard
Pour mon rendez-vous amoureux
Affolé j’ai sauté de mon lit
En slip
Et j’ai descendu les escaliers
À toute vitesse
En slip
J’ai pédalé comme un fou
En slip
Grillé les feux rouges
En slip
Roulé sur les trottoirs
En slip
C’est culotté
Suis passé devant la concierge
En slip
Et j’ai sonné à sa porte
En slip
J’ai mis un point d’honneur
Pour être à l’heure
L’exactitude
Est la politesse des rois
ah la belle réussite qu’ils disent
réussite en gants blancs
avec habits de cérémonie
fanfreluches clinquantes
et tout en trompe-l’œil
alors que de partout
la vraie vie ruisselle et déborde.
un jour le peintre Degas
s’offrit un tableau du Greco
pour le suspendre à un clou
dans un coin de sa chambre
et tous les soirs immuablement
il ôtait son pantalon et ses habits
pour les suspendre à ce même clou
afin de recouvrir le tableau.
Les écoliers par jeu brisent la glace
dans un sentier
près du chemin de fer
on les a lourdement habillés
d’anciens lainages sombres
et ceinturés de cuirs fourbus
le chien qui les suit
n’a plus d’écuelle où manger tard
il est vieux
car il a leur âge.
À la laverie automatique
parmi les gens
on ne sent plus sa différence
l’illustre lassitude se lit
sur les visages et dans les gestes
pour défroisser, plier
et empiler la panoplie
de l’homme quotidien
en proie à l’existence
Seul dans son coin
au bout d’une laisse
un petit chien dont la queue bat
fait l’affaire du bonheur.
Par une belle nuit
La lune eut une fille
Ronde, parfaite, dorée
Comme une petite galette.
― Où vais-je te mettre ?
Tu n’es pas prévue au ciel
Si tu restes là près de moi
Je vais avoir des ennuis
Avec ceux de la galaxie.
― Fais-moi une robe
Dit l’enfant lune
Une robe échancrée
À cinq encoches
Et autant de petites capuches
Comme les étoiles !
Ce qui fut dit, fut fait
Et la petite lune
Resta près de sa mère.
D’ici, on ne la voit guère
Mais on le sait :
L’amour n’est pas toujours visible !
Cette année-là, une vieille chèvre
Se dit qu’il était temps de se mettre au tricot.
Elle allait, disait-elle, tricoter un cache-dos
Pour un petit chevreau
Attendu dans son troupeau.
Elle se rendit en ville
Acheta laine rouge, aiguilles numéro deux
Catalogue de modèles. Pour être plus sûre d’elle,
Elle passa chez l’opticien et changea de lunettes.
Et tous les soirs, après sa sieste, sur l’herbette
Elle s’appliqua : maille à l’envers, maille à l’endroit,
Augmentations et diminutions.
Son tricot tournait rond.
Le petit naquit. C’était une chevrette.
Poils luisants. Jolis sabots.
Où avait-elle appris le rodéo ?
On ne le sut guère !
Mais au premier saut, l’ouvrage de la grand-mère
Roula dans le ruisseau.
― Bah ! dit l’aïeule, retournons à nos mots croisés.
De nos jours, les enfants sont très mal élevés.
L’oeil rit la bouche sourit
et les robes
traînent en douceur
le front blanc
frémissant
du calme dans son armure.
Valérie Huet Dans le matin réfléchi de nos songes – Éditions de l’Atlantique
La photo
Le vieux berger en paletot,
Pourquoi est-ce qu’il n’a pas souri
Quand tu as pris cette photo,
Pourquoi est-ce qu’il ne t’a rien dit ?
Dans la poche du paletot
Ses doigts jouent avec le couteau
Offert par son petit-garçon
Quand il est monté au hameau
Pour embrasser Papi-Mouton,
Ça va faire une année bientôt.
Dans les côtes du paletot
Son cœur des fois joue les idiots
Et quand ça fait vraiment trop mal,
Qu’il se sent pris dans un étau,
Inquiet il pense à l’hôpital
Que l’on voudrait fermer bientôt.
Dans le tissu du paletot
Ça sent les odeurs du troupeau,
Ça sent l’alpage, les étables,
Mais les brebis et les agneaux
Paraît que ce n’est plus rentable,
Qu’il faudra les vendre bientôt.
Le vieux berger en paletot
Qui n’a rien dit, n’a pas souri
Quand tu as pris cette photo,
Le vieux berger n’a pas envie
De n’être au bout de sa vie d’homme
Qu’une belle image dans ton album.
Dans les poches à Topa
Qu’est-ce qu’il y a ?
Qu’est-ce qu’il y a ?
Dans la poche droite
un couteau suisse
avec plein de lames
deux clous rouillés
et un double-mètre
un peu diminué
Dans la poche gauche
un mouchoir blanc
qui sent bon la lavande
un bout de papier
avec des mots griffonnés
une pomme de reinette
et une surprise
que j’attends
que j’attends
Moi, quand on me parle de vêtements
Je ne pense pas aux survêts, non !
Je ne pense pas aux burkinis, non !
Je ne pense pas aux costumes trois pièces
Trois fois non !
Je pense, oui !
Je pense au conte d’Andersen
Où les courtisans
Font croire au roi qu’on lui met
De merveilleux habits
Alors qu’il n’a rien sur le dos !
Et c’est un enfant dans la foule,
Quand sort le roi,
Qui dit ce que tout le monde voit
Mais n’ose avouer :
« Le roi est nu ».
Je sais, moi, que sous les vêtements
La peau est nue
Et que c’est là
Que se trouve
Le secret de la tendresse.
Alors si je salue quelqu’un
J’enfile mes gants de peau
Et c’est ainsi que l’on échange
Nos sentiments les plus intimes.
Mère-grand
Tricote en chantant ;
Avec la laine verte
Elle fait des chaussettes,
Avec la laine grise
Elle fait une chemise,
Avec la laine rouge
Elle fait un grand pull,
Avec toutes ses laines
Elle fait des mitaines.
Souffle d’une roue voilée
Haleine de fin d’été
Sur les poignets arrimés
Au guidon étirant la lumière
Jusqu’aux bordures du travail achevé
Ainsi j’avance dépassant
Quelques piétons de septembre
Quand mon regard s’accroche
Au pli d’un pantalon comme
On se prend les pieds dans les pédales
Tissu beige rosé un peu passé
Tellement repassé qu’il offre
Un pli à l’avant et à l’arrière
Le vêtement a de la tenue
Sur la petite femme âgée qui
Assouplit la dureté du trottoir
Et cette émouvante symétrie
Me renvoie ma mère qui n’a porté
De pantalon que deux ou trois fois
Ca ne lui allait pas vraiment mais
Ce qui lui allait bien c’était
De vivre enfin librement
Pour un temps à peine surfilé
J’ai dépassé le pli avec
Accroché aux rayons un morceau
D’étoffe une image un manque
Aussi imprévisible
Qu’une couture qui lâche.
Je te dis
Bonsoir cerise
Bonsoir pain d’épice
Dors bien mon sapin
À demain laitue
Sois sage écureuil à la crème
Et tu ris
Tu ris de toute ta bouche claire
Et j’entends ton cœur qui bat fort
Comme celui d’un faon qui court
Et tu m’embrasses
Et tu jettes tous les draps
Et tu tires mes tresses
Et tu me dis bonsoir à l’oreille
En trébuchant
Sur tes deux ans
Et ton pyjama
Je te donne pour ta fête
Un chapeau couleur noisette,
Un petit sac de satin
Pour le tenir à la main,
Un parasol en soie blanche
Avec des glands sur le manche,
Un habit doré sur tranche,
Des souliers couleur orange.
Ne les mets que le dimanche,
Un collier, des bijoux
Tiou !
Clop pfuit clop pfaff clop clop pfuitt…
Elle y va de ses petits bruits,
Elle grimace, gueule ouverte largement,
Révélant ses vilaines dents,
Ses dents rouillées, cariées, noires,
Mal plantées dans ses mâchoires.
On dirait qu’elle se prend
Pour un jeune caïman
Ou un poisson flasque qui nage
Dans l’eau tombée des nuages.
Vieille chaussure éculée,
Avec toi je vagabonde
À travers mon petit monde
Par les rues ensoleillées.
Pour être un champion, moi j’ai tout compris.
Il faut deux bâtons, un joli blouson,
une paire de skis.
Et sous un beau casque,
ma tête à l’abri,
je dévale à fond
la piste aux oursons.
Je me suis promenée avec un corsaire
sur les remparts de Saint-Malo
Mon corsaire revenait de guerre sur la mer
il avait démonté son sabre
dévissé sa jambe de bois
roulé le bandeau noir qui cachait son œil gauche
il avait mis ça dans son coffre
avec sa longue vue et ses cris d’abordage.
Et il avait enfilé son jean et ses baskets
son tee-shirt et ses lunettes
pour se promener avec moi sur les remparts
de Saint-Malo.
Je me promène sur le pont dans mon complet blanc acheté à Dakar
Aux pieds j’ai mes espadrilles achetées à Villa Garcia
Je tiens à la main mon bonnet basque rapporté de Biarritz
Mes poches sont pleines de Caporal Ordinaire
De temps en temps je flaire mon étui en bois de Russie
Je fais sonner des sous dans ma poche et une livre sterling en or
J’ai mon gros mouchoir calabrais et des allumettes de cire de ces grosses que l’on ne trouve qu’à Londres
Je suis propre lavé frotté plus que le pont
Heureux comme un roi
Riche comme un milliardaire
Libre comme un homme
J’ai trouvé un caillou pas plus beau,
pas plus rond que les autres.
Je ne l’ai jeté sur personne.
Je n’ai pas fait de ricochets.
Je l’ai caché dans la poche de ma chemise.
Lorsque je l’ai retiré,
j’ai vu qu’il avait deux taches,
comme des yeux, et un creux,
pareil à une bouche.
Il m’a dit, d’une petite voix pierreuse :
« Peux-tu me remettre contre ton cœur ?
J’aime tellement l’écouter. »