Salah Al Hamdani – Bagdad mon amour

Salah Al Hamdani – Bagdad mon amour

C’est entre Bagdad et Paris que s’est construit l’imaginaire littéraire de ce poète, écrivain et acteur, né en Irak en 1951. À l’âge de dix-sept ans, Salah Al Hamdani s’engage dans l’armée irakienne. Les persécutions du peuple Kurde par les militaires du parti Baas dont il est témoin à cette époque éveillent sa conscience politique. Cet esprit de révolte lui vaut d’être emprisonné ; c’est à vingt ans, incarcéré, qu’il compose ses premiers poèmes.

À sa libération, marqué par la lecture de Camus, il choisit la France comme terre d’exil. Il est aujourd’hui l’auteur d’une trentaine d’ouvrages touchant à tous les genres, principalement écrits en français. Il ne revient en Irak qu’en 2004, après la chute du régime de Saddam Hussein, et retrouve sa famille trente ans après son départ.

Portrait de Salah Al Hamdani
Recueil Bagdad mon amour de Salah Al Hamdani

C’est par la poésie que l’exilé “l’égaré”, tel qu’il se nomme lui-même éloigné des siens et de leur drame, déclare son amour et mène le combat. Dénonciation de l’horreur de la dictature, de la complicité et de l’indifférence des uns, de la résistance et parfois du sacrifice des autres, ces textes révèlent à la fois l’impuissance de la révolte de l’exilé et la nécessité de sa lutte.

Voici quelques extraits

Vois-tu
je ne possède pas de langue
                                          pour nommer les victimes
simplement
dans ma tête
les tombes et les palmiers se bousculent.


Alors
depuis l’exil
je suis seul chaque soir et m’endors
avec le rêve de courir demain sur l’Euphrate.

Distributif


Faut-il que je t’explique
ce que veut dire Bagdad
et ce reflet dans ton regard…


Faut-il que je te dise
pourquoi on meurt là-bas
et cette satanée amertume
dans mon sourire parfois


Madinat Al-Salam³
je te veux porte ouverte
sur le soir assis dans ces champs de blé


Fil tendu sur la fenêtre de l’enfance
parfum d’amour au-delà des frontières.

 

³ Madinat Al-Salam (cité de la paix), ancien nom de Bagdad

Bientôt
dans les regards des affamés
le désir aura une histoire
et l’espoir lavera leur blessure


Bientôt
le rire de la mère de l’exilé brisera l’aube de condamné


Bientôt
nous pulvériserons l’absence des jours
la fuite de la vérité
dans l’insoutenable chute des hommes
                          déluge d’appels
                         en fusion de sang
            pour arracher le destin décomposé
           et ouvrir les cimetières aux inconnus


Bientôt mon amour
au bord d’une écume d’écriture
tu planteras mon cri
sur une tombe à ciel ouvert,
sur une vie initiée à l’exil


Dans la fulgurance des dires
de l’un
dans la fertilité des mots éphémères d’autrefois
de l’autre
dans le creux brûlant de l’encre
pour y vivre
pour y mourir.


27 novembre 2002

Homme
quand tu répands la pensée sur l’argile
en la ficelant au temps
tu écris des mots que l’encre ignore.


Homme
quand ton regard sur les steppes
se moque d’une paix maquillée avec le corps des mots
tu ligotes la beauté du passé et la méditation.


Homme
quand tu épingles à nouveau tes veines à ce lieu
ta bouche souffle la vie
dans ce destin de marbre.


Homme
quand tu dialogues avec l’histoire
afin qu’elle ne tourne pas le dos
au cavalier au turban lumineux
tu abrites le soupir de ton village lune fugitive
avec la pierre que tu lances à l’aube
sur le fleuve imaginaire.


Tu me salues comme une averse?
Oui, mon ami
je ne suis qu’un nuage du passé égaré sur le trottoir.

Règle


Nuage après nuage
le soleil s’éteint
Guerre après guerre
l’homme se désamorce
Feuille après feuille
l’arbre tombe.

Bagdad sur Seine


Tu agonises comme les soldats inconnus
sous les horizons lourds de l’ennui
Bagdad
miroir que l’on scie
je suis seul dans l’exil
le seul qui pense à toi


Bagdad
n’enferme pas le fleuve
dans ton corps
car j’y plongerai
jusqu’à ton âme


Bagdad
pour celui qui a mis le baiser de la mort sur tes collines
et celui qui a pleuré les écorchures de ton cœur
pourquoi ce ciel gris sur ton corps
fauchant le silence
quand je prononce ton nom?

 

Le 14 juillet 2001

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