La toile de l'un

Sentiments

Sentiments


Le
jardin
se réjouit
d’entendre
le chant du
merle

© Béatrice Libert


Des
bouquets
de
mimosa
chantent en moi

© Béatrice Libert


Ramasse
ta
joie
et
danse !

© Béatrice Libert

 


Je
suis
la
pluie
qui sourit
même aux feuilles mortes

© Béatrice Libert

 

 

Dans ses noirs infinis
le cosmos par endroits pleure
et ses larmes sont dans l’espace
comme des œufs dans un nid

Le temps les couve

Un beau soir
car c’est alors un beau soir
une étoile brise sa coquille
et te sourit

Patrick Joquel
Perché sur ton planisphère
© Lo Païs, d’enfance

 

Je vous écris de l’intérieur de mes terres.
De mes terres intactes. De mes terres saccagées.
De mes terres mauves. Celles aux cicatrices
de bruyères qui ne savent pas faner.
Celles aux landes recouvertes de neige.
Celles d’un soir de mai
où tout à coup la sève explose
à côté des vaisseaux de l’arbre. Sous un ciel
criblé de feuillage. Sous un ciel stupéfié.

Joëlle Brière
 Lettres sous silence
© La Renarde Rouge, 1994

 

Je me souviens parfaitement
du nom de sa rue

Je me souviens également
du numéro de son immeuble
situé juste en face
d’un vieux marronnier

Je me souviens avec certitude
des chiffres du digicode
sa date de naissance

Je me souviens de la suite
troisième étage
sans ascenseur

Je me souviens enfin
de la couleur de sa porte

Mais au moment
d’appuyer sur la sonnette
je me demande
si elle


Jean-Claude Touzeil
Remontants et ricochets
© Soc et foc, 2012

 

Le parfum de mémé

J’aime le parfum de mémé
Elle sent la soupe aux choux
Le dimanche elle sent le poulet
J’aime l’embrasser, c’est doux
J’aime quand elle revient
De chez le coiffeur
Elle n’a plus un cheveu blanc
Ils sont noirs, c’est surprenant
On dirait qu’elle est tombée
Dans le vidangeur
J’aime quand elle prend le thé
Elle éventre toujours le sachet
Tous les grains se mettent à nager
Elle le boit, elle a la santé
J’aime quand elle parle avec sa voisine
Elles chuchotent entre leurs dentiers
Elles se montrent leurs pieds
Elles disent du mal de l’autre voisine
J’aime quand elle fait le ménage
Elle fait sauter les plombs
En branchant l’aspirateur
À califourchon
Il y a de l’explosif dans l’allumage
J’aime bien quand elle marche
On dirait qu’elle a des oursins
Dans les godasses
Mais pour elle, la terre est basse
Elle est haute
Comme trois marches
J’aime le parfum de mémé
Jamais ne l’oublierai, non jamais.

Philippe Fournier
in
Poèmes pour s’éclairer à la luciole
(Anthologie poétique)
l’épi de seigle, 2002

 

Après les années

« Papa, quand je serai grande,
après les années,
est-ce que j’aurai un cœur grand comme ça ?
― Oui, il va grandir un peu.
― Est-ce que ça veut dire que je pourrai mettre
plus de gens à l’intérieur ?
― Pourquoi dis-tu ça ?
― Parce que moi, j’aime tout le monde. »

Carl Norac
Petits poèmes pour passer le temps
© Didier Jeunesse, 2008

C’est fade

Il faut faire la visite à grand-mère
elle a tous les jeux dans une boîte à couture
on les connaît par cœur et il faut être sage.
Il n’y a pas assez de cubes
pour faire un garage
et la voiture n’a plus de roues.
C’est très lent et très long
encore après le thé.
On va voir grand-mère quand il pleut.
Quand on allume chez elle
il fait déjà nuit
depuis tout le temps.

 

Jean-Hugues Malineau
Les goûts de mon enfance
© La Renarde Rouge, 2000

 

La voix

Une voix, une voix qui vient de si loin
Qu’elle ne fait plus tinter les oreilles,
Une voix, comme un tambour, voilée
Parvient pourtant, distinctement, jusqu’à nous.

Bien qu’elle semble sortir d’un tombeau
Elle ne parle que d’été et de printemps,
Elle emplit le corps de joie,
Elle allume aux lèvres le sourire.

Je l’écoute. Ce n’est qu’une voix humaine
Qui traverse les fracas de la vie et des batailles,
L’écroulement du tonnerre
Et le murmure des bavardages.

Et vous ? ne l’entendez-vous pas ?
Elle dit « La peine sera de peu de durée »
Elle dit « La belle saison est proche ».

Ne l’entendez-vous pas ?

Robert Desnos
in
On n’aime guère que la paix
(Anthologie)
© Rue du Monde, 2003

 

J’ai
posée sur l’épaule
une tristesse à partager

Rien n’est plus simple désormais

Rien n’est plus simple comme avant
que l’incendie n’arrive
que le désert s’installe

J’ai oublié − je crois –
L’ardeur d’un simple rire
Et ma gorge est brûlée
Par les flammes du cri qu’il faudrait libérer

Ce jour
J’habite une douleur
Aux mille portes entrouvertes

Et je ne sais par où sortir
si l’on m’appelle.

Alain Boudet
Ici là, sur le rivage
© La Renarde Rouge, 2010

 

Nous crions de colère

De dégoût
de détresse

Et puis nous nous taisons
par habitude
ou par paresse

Le vent
mieux que nos voix
bouleverse le monde.

Alain Boudet
Ici là, sur le rivage
© La Renarde Rouge, 2010

 

Patrie du poème

Ils embarquent parfois
sur le radeau du soir
et ils essaient
de vague en lune
d’arrimer leur pays aux étoiles

La nuit
tous les chemins sont morts
et la fatigue a fait son lit
dans la poussière

Ils font un voyage immobile
essayant de ne pas sombrer

Leurs yeux dorment à fond de cale
leurs yeux bleuis d’incertitude
ivres comme des buveurs de lumière

Comment peut-on forger un rêve
Au feu inquiet des lendemains ?

Comment quitter ce que l’on fut
en emportant ce qui peut être ?

Quand on a le cœur dans la gorge
les mots ne savent plus rien dire
et l’on se tait.

Alain Boudet
À vif
© Jacques André éditeur, 2008

 
J’avais traîné
En chemin
Une vitrine
Des crayons
Des gommes
M’avaient retenue
De petites gommes
À la dimension de ma main
Une gomme pour effacer
Pour se racheter
Une autre
Pour recommencer

Je n’ai pas trouvé
De
Gomme
Pour refaire
Ma vie


Dan Bouchery
Les Éphémères
© Soc et Foc, 2009

  Je vous écris sous les paupières de mon amour
avec de l’encre un peu blessée. Avec des mots
qui peuvent attendre. On les prononce toujours
trop tôt. Après, on ne peut que les redire.
Et c’est forcément moins beau.

Joëlle Brière
Lettres sous silence
© La Renarde Rouge, 1994

 

Je ne sais pas quand je suis mort la première fois. Je ne sais pas tout à fait pourquoi. Mais je sais que quelque chose est mort ou a cessé de vivre. C’est une histoire de panier mal rempli et de parents défaits. C’est un arbre
qui de branche en branche avec la sève fait passer quelque chose d’acide et de mortel.
Un jour pourtant on décide de regarder en face le nœud de la peur et d’être ce qu’on est et de répandre la nuit paisible
et le jour clair dans les veines. La prochaine fois que je mourrai je veux avoir vécu avant.

Raymond Jacq
Lorsque le voyageur
© La petite édition, 2012

 

La première fois
que j’ai vu ma mère
pleurer
j’étais tout petit
le facteur avait apporté
un télégramme

Le billet bleu
plié dans sa main
plié chiffonné
torturé
annonçait la mort de son père

je ne comprenais pas bien
ne voyais pas la rapport
de cause à effet
mais voir ma mère
pleurer
fut mon premier
tremblement de terre

Jean-Claude Touzeil
Petits cailloux pour Gita
© Écho Optique, 2007

 

L’enfant est mort

Le village s’est vidé
de tous ses combattants

Rivé à sa mitraillette
dont les rafales de feu
viennent d’achever l’enfant
L’ennemi tremble d’effroi
à l’abri d’un vieux mur

Tout est propre autour :
le ciel
la mer
l’été rieur
les pins

L’ennemi
a lancé loin
par-dessus les collines
ses vêtements et son arme
son histoire et ses lois

Pour se coucher en pleurs
à deux pas d’une fontaine
sous l’ombre d’un oranger

Près du corps de l’enfant

Andrée Chedid
in
On n’aime guère que la paix
(Anthologie)
© Rue du Monde, 2003

 

J’ai suivi des chemins inutiles et perdus et
des peurs des peurs toujours des peurs. Mais me voici. Après les eaux mortes les écueils les jours sans vent me voici. Je suis un vaisseau obstiné. Obstinément je cherche l’œil de la tempête obstinément je
cherche le passage.

Raymond Jacq
Lorsque le voyageur
© La petite édition, 2012

 
Lorsque tu as secoué de moi
l’amour et la joie
la tristesse et l’espoir
je suis apparue comme un arbre dénué
de feuilles et de fruits
d’oiseaux

J’ai arraché mes boutons de tes boutonnières
et j’ai décidé
de t’oublier

Maram Al-Masri
Je te menace d’une colombe blanche
© Seghers, 2008

  Elle dans le bruit
les voix lui disent rien
Elle s’enferme
dans sa tête
Le silence lui va bien
Sa peau d’avant
accrochée aux ronces
Nue
dans le ventre du sentier

Errance dépouillée

Pascale Albert
Un dernier battement d’ailes
© Donner à Voir, 2011

  J’atteste

J’atteste qu’il n’y a d’Être humain
que Celui dont le cœur tremble d’amour
pour tous ses frères en humanité
Celui qui désire ardemment
plus pour eux que pour lui-même
liberté, paix, dignité
Celui qui considère que la Vie
est encore plus sacrée
que ses croyances et ses divinités

J’atteste qu’il n’y a d’Être humain
que Celui qui combat sans relâche
la Haine en lui et autour de lui
Celui qui,
dès qu’il ouvre les yeux au matin,
se pose la question :
Que vais-je faire aujourd’hui
pour ne pas perdre ma qualité et ma fierté
d’être homme ?

Abdellatif Laâbi
Le 10 janvier 2015 
J’atteste
© Rue du Monde, 2016

 
J’aurais aimé vous l’écrire
Ce poème indéfinissable
Qui parle de joies ineffables
De sentiments inexprimables
Et d’amour incommensurable

J’aurais aimé vous l’écrire
Avec des mots intraduisibles
Et des images indescriptibles

J’aurais aimé vous l’écrire
Et mon chagrin est indicible

© Jean-Claude Touzeil
Mine de rien
Clapàs, 1999

  Douceur,
Je dis : douceur.
Je dis : douceur des mots
Quand tu rentres le soir du travail harassant
Et que des mots t’accueillent
Qui te donnent du temps.
Car on tue dans le monde
Et tout massacre nous vieillit.
Je dis : douceur,
Pensant aussi
À des feuilles en voie de sortir du bourgeon,
À des cieux, à de l’eau dans les journées d’été,
À des poignées de main.
Je dis : douceur, pensant aux heures d’amitié,
À ces moments qui disent
Le temps de la douceur venant pour tout de bon,
Cet air tout neuf,
Qui pour durer s’installera.

Guillevic
Terre à bonheur
© Gallimard, 1952

  Tu aiguises les mots
comme d’autres les couteaux
pour trancher dans le vif
des peines et des peurs

Tu voudrais capturer l’espoir
dans le filet fragile de tes yeux
et prendre pour abri
une parole douce

Tu voudrais que la poésie
soit un peu de douceur
sur la peau des choses

Et tu n’es pas le seul.

Alain Boudet
Si peu, mais quelques mots
© La Renarde Rouge, 2006

 

 

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